L’essor de l’autoconsommation d’électricité en France

Paris. Selon le rapport de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) dévoilé le 21 octobre 2019, l’énergie solaire représentera 60 % de la hausse de la puissance renouvelable installée dans le monde d’ici 2024. Plusieurs raisons expliquent cette forte croissance : baisse des coûts, politiques publiques favorables ou améliorations techniques. Les installations photovoltaïques décentralisées sont en particulier amenées à jouer un rôle important, combinant forte capacité de production et des coûts attendus 15 à 35 % à la baisse d’ici 2024, rendant cette source d’électricité particulièrement compétitive.1

Ces installations sont à la base de la notion d’autoconsommation individuelle d’électricité, qui consiste à produire sa propre électricité à l’aide de panneaux solaires, permettant de s’assurer de la provenance de son énergie mais aussi de baisser de manière significative sa facture. Ce concept a récemment gagné en popularité dans le contexte de responsabilisation citoyenne vis-à-vis du développement durable. L’autoconsommation individuelle se heurte toutefois à un problème physique majeur : la production ne peut se faire que durant les heures d’ensoleillement, ce qui peut entraîner d’éventuels surplus d’énergie que l’on est incapable aujourd’hui de stocker de manière efficace. Les consommateurs sont alors obligés de vendre ce surplus d’énergie au gestionnaire de réseau à des prix économiquement inintéressants.

Il s’agit d’une des raisons de l’émergence de l’autoconsommation collective, qui consiste à produire et consommer de l’électricité de manière commune pour éviter les surplus. Les participants à une opération d’autoconsommation collective sont géographiquement proches, habitant le même immeuble ou quartier. L’objectif de l’autoconsommation collective est de tendre vers un équilibre offre-demande instantané (c’est-à-dire de synchroniser injections et soutirages). Cette forme de consommation énergétique sensibilise de plus les consommateurs à l’utilisation optimale des moyens de production et a donc un impact sur le comportement des consommateurs.

Un développement limité par de nombreux freins

A première vue, ce nouveau mode de consommation est donc très attractif car il permet de répondre au problème du stockage de l’électricité produite par les énergies renouvelables. Cependant, le marché́ de l’autoconsommation collective est encore très réduit : si le nombre d’autoconsommateurs en France a atteint 45 000 personnes au 1er semestre 2019 (à comparer cependant aux 500 000 autoconsommateurs allemands), seules 16 opérations d’autoconsommation collective sont en fonctionnement en juillet 2019.2 L’offre surpasse aujourd’hui la demande des consommateurs, notamment à cause de la complexité du montage des projets et d’une tarification peu avantageuse (les participants payent encore de forts coûts de réseau, alors qu’ils l’utilisent sensiblement moins).

Les freins au développement de l’autoconsommation collective sont principalement de nature économique et réglementaire. Par exemple, les participants à une opération d’autoconsommation collective doivent se rassembler au sein d’une entité légale, la Personne Morale Organisatrice, dont la forme juridique n’a pas encore été fixée avec précision. Les appels d’offre pour obtenir des subventions sont aussi complexes, impliquant de faire appel à de nombreux cabinets d’études et de respecter des délais serrés.

Pour autant, le principal frein concerne la rentabilité des projets d’autoconsommation d’électricité. Si les opérations d’autoconsommation individuelle sont exemptées d’un certain nombre de taxes, la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) a jugé que les projets d’autoconsommation collective ne réduisent pas suffisamment l’utilisation du réseau d’électricité pour bénéficier de ces exemptions. La CRE a cependant offert aux autoconsommateurs collectifs la possibilité de bénéficier d’un TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité) spécifique. En pratique, cet arrangement peut s’avérer plus cher pour le consommateur s’il ne parvient pas à atteindre un certain taux d’autoconsommation. Des associations de producteurs comme ENERPLAN (syndicat des professionnels de l’énergie solaire) dénoncent donc la difficulté pour les projets d’autoconsommation collective d’atteindre un seuil de rentabilité. Ces projets ne sont donc envisageables qu’accompagnés de fortes subventions.3

Des progrès dans le cadre de définition de l’autoconsommation collective

Il faut cependant noter des efforts de la part des pouvoirs publics pour favoriser l’autoconsommation collective. La loi PACTE adoptée en mai 20194, a réformé la définition de l’autoconsommation collective à titre expérimental pour une durée de 5 ans, en précisant que les points de soutirage et d’injection doivent être situés sur le réseau basse tension, mais n’obligeant plus les participants à être en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension. De plus, cette loi a supprimé des contraintes pesant sur la puissance des installations de production photovoltaïques décentralisées. On voit donc une volonté de la part du régulateur d’étendre le cadre de l’autoconsommation collective, en permettant aux participants à l’opération d’être plus éloignés les uns des autres.

Cette volonté de promotion se retrouve à l’échelle européenne : l’Union européenne a fait rentrer dans les textes en 2018 le droit à autoconsommer, sans frais et charge, avec la possibilité de distinguer les régimes de l’autoconsommation individuelle et collective uniquement à la condition que cette distinction soit établie sur des bases non discriminatoires et proportionnées.5 Dans cette lignée, 8 pays européens ont légiféré sur l’autoconsommation collective.

Le débat en cours vise donc à déterminer si la tarification spécifique à l’autoconsommation collective établie par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) est non discriminatoire et proportionnée. Au vu de la difficulté actuelle à mettre en place des projets d’autoconsommation collective rentables, qui contraste avec le rendement de l’autoconsommation individuelle, la question est légitime. Enerplan a ainsi attaqué la méthode de calcul de la CRE au Conseil d’État, la qualifiant de “frein qui vise à entraver le développement de projets d’autoconsommation collective”.

Ce débat sur la tarification qui devrait être appliqué à l’autoconsommation collective est une des illustrations des défis que l’intégration dans le réseau de l’énergie solaire va poser. L’Agence Internationale de l’Énergie explique par exemple dans son dernier rapport que les initiatives de production décentralisée menacent notamment de réduire les revenus des opérateurs, ce qui pourrait impacter le maintien des infrastructures traditionnelles. De plus, des études comme celle publiée par le Boston Consulting Group mettent en avant les investissements importants qui vont être nécessaires pour adapter les réseaux, qui fonctionnent majoritairement en sens unique (d’un producteur centralisé vers les consommateurs), afin d’intégrer les producteurs décentralisés d’énergie solaire. Le risque est que les utilisateurs ne possédant pas de panneaux solaires financent seuls les coûts du réseau. Donc, il s’agit pour le régulateur de parvenir à encourager le développement de l’énergie solaire en la subventionnant, tout en conservant un réseau d’électricité fiable.

Trouver un modèle rentable pour l’autoconsommation collective s’annonce finalement déterminant pour encourager l’investissement dans les énergies renouvelables, en cohérence avec l’objectif annoncé de la France dans le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie de 36 % de renouvelable dans la production d’électricité en 2028.6

Perspectives :

  • Les freins empêchant le développement de l’autoconsommation collective d’électricité restent nombreux malgré les efforts récents des services publics.
  • Cela illustre la difficulté de l’intégration de la production photovoltaïque décentralisée dans le réseau d’électricité : le régulateur doit trouver une tarification combinant soutien au renouvelable et maintien d’un réseau fiable.
  • A suivre : l’implémentation de la directive européenne sur l’autoconsommation en France, qui doit avoir lieu avant mai 2020.