Le 22 octobre, la ministre allemande de la Défense, Mme Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU, parti conservateur) a surpris les partenaires de la coalition allemande ainsi que les alliés européens de l’Allemagne par une proposition phare : en réagissant à l’opération militaire menée par la Turquie dans le nord de la Syrie, la ministre a proposé la création d’une “zone de sécurité sous contrôle international”, c’est-à-dire une zone contrôlée par les forces des Nations Unies. Les réactions des partenaires européens et internationaux n’ont pas tardé, avec la France regrettant le manque de concertation avec les partenaires européens, l’ambassadrice américaine auprès des Nations Unies exprimant un “soutien politique” — et uniquement politique — pour cette initiative, et la Turquie excluant cette option1.

Or la possibilité de la création d’une “zone de sécurité sous contrôle international” étant évoquée lors d’une conférence de presse suivant la réunion des ministres de la Défense de l’OTAN le 25 octobre, le Secrétaire général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, s’est limité à féliciter la proposition en tant que contribution au débat, tout en soulignant la difficulté des États membres de trouver un consensus sur l’action de l’alliance en Syrie2.

Implications vastes d’une «  zone de sécurité sous contrôle international  »

En général, des zones de sécurité sont des moyens établis pour désamorcer des conflits internationaux et pour contribuer à la stabilité des régions respectives. Connus sous le nom des “casques bleus”, des soldats internationaux sont déployés dans une région déterminée par une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies afin d’y assurer le maintien de la paix, une réduction de la violence et l’accès humanitaire. C’est ainsi qu’en 2015, la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA), déployée à la suite d’une résolution du Conseil de Sécurité en 2013, a créé une telle zone de sécurité afin d’éviter une escalade de la violence entre les acteurs sur le terrain.

Or, l’idée d’une zone de sécurité sous contrôle de l’ONU en Syrie a également trouvé du soutien au Parlement européen, qui “invite les États membres à redemander au Conseil de sécurité de l’ONU d’adopter une résolution qui lui permette d’agir de manière ciblée, dans le but d’établir une zone de sécurité contrôlée par l’ONU dans le nord de la Syrie dans l’intérêt des populations locales” dans une résolution votée le 24 octobre3. À la suite de la réaction claire des Etats-Unis que leur soutien ne sera que de nature politique, la création d’une telle zone de sécurité impliquerait tout d’abord le déploiement des forces européennes. Les analystes estiment qu’une telle opération de l’ONU en Syrie nécessitera au moins une ampleur comparable à la MINUSMA, dont le contingent dépasse le nombre de 12 000.

Le volet humanitaire européen, le volet militaire national

Depuis le début de la crise syrienne, l’Union européenne a plutôt limité son action extérieure sur les volet humanitaire et diplomatique, bien que la possibilité d’une mission d’observation européen fût discutée en 2012. Le soutien financier de l’UE et des États membres s’élevant à près de 17 milliards d’euros, l’Union est l’un des plus important fournisseurs d’aide humanitaire en Syrie et ses pays voisins4. Néanmoins, tous les États membres de l’UE, à l’exception de Malte, et l’Union elle-même, appartiennent à la Coalition internationale de lutte contre Daesh sous direction de l’Arabie Saoudite, composée de 78 États.

Dans ce cadre, les mandats des armées européennes présentes sur le terrain varient fortement, s’étendant des vols d’observation et du soutien logistique apporté par l’armée allemande aux frappes aériennes concertées des armées française et britannique. Même si l’action militaire des États membres se caractérise par une coopération opérationnelle étroite sur le terrain, la portée des mandats et le commandement des opérations restent purement nationaux.

Vers une action européenne concertée dans le jeu géopolitique en Syrie ?

Pendant presque huit ans de guerre en Syrie, l’Union européenne n’est guère devenue un acteur sur l’échiquier géopolitique en Syrie. Avec le retrait des forces américaines, la quasi-défaite de l’opposition et l’affaiblissement considérable de Daesh, le pouvoir d’imposer l’ordre d’après-guerre en Syrie se trouve actuellement dans les mains d’Assad, soutenu par ses alliés russe et iranien et collaborant avec le voisin turque. Ces acteurs viennent d’aboutir à un accord sur leur continuation des offensives contre les Kurdes dans le nord du pays, où les actions de combat se concentrent actuellement et ont déclenché la fuite de milliers des personnes.

À condition que le Conseil de Sécurité arrive à dépasser son blocage permanent, cette situation humanitaire désastreuse et l’escalade de la violence dans le nord de la Syrie pourraient donc faire l’objet d’une résolution du Conseil de Sécurité rendant possible le déploiement des troupes internationales chargées du maintien de la paix et de l’installation d’une zone de sécurité. Étant donné un tel mandat, l’engagement des pouvoirs européens dans le cadre d’une mission leur permettrait de se remettre en jeu en Syrie sans risquer une opposition directe à Assad et ses alliés.

Or les autres possibilités de développer une capacité d’action européenne allant au-delà du volet humanitaire et diplomatique sont limitées : comme les traités de l’Union exigent forcément l’existence d’un mandat international pour le déploiement d’une mission européenne, sa marge de manoeuvre pour déployer une mission dépend des votes russe et chinois au Conseil de Sécurité vis-à-vis d’une telle mission internationale en Syrie. Outre les provisions institutionnelles qui rendent une action européenne concertée et efficace difficile, notamment le principe d’unanimité, un deuxième dilemme pour l’action européenne se révèle en Syrie : s’étant mise sur la touche au début de la crise, l’Union dépend maintenant fortement de deux acteurs jouant dans les mains d’Assad en Syrie — le Président turc n’hésite pas à jouer la carte de la résiliation de l’accord migratoire avec l’UE, et la Russie peut bloquer toute initiative internationale au Conseil de Sécurité.

Dans ce contexte géopolitique, il sera donc de plus en plus difficile pour l’Union de jouir d’une influence quand les négociations internationales concernant l’ordre d’après-guerre seront entamées.

Perspectives

  • Le dossier syrien sera très probablement évoqué lors des discussions au sommet de l’OTAN le 3 décembre à Londres.
Sources
  1. Le Figaro avec AFP (2019), Syrie : la « zone de sécurité sous contrôle international » suscite des réserves chez l’Otan, 24 octobre 2019, https://www.lefigaro.fr/flash-actu/syrie-la-zone-de-securite-sous-controle-international-suscite-des-reserves-chez-l-otan-20191023
  2. OTAN (2019), Press conference by NATO Secretary General Jens Stoltenberg following the meetings of NATO Defence Ministers, 25 octobre 2019, https://www.nato.int/cps/en/natohq/opinions_169945.htm?selectedLocale=en
  3. Parlement européen (2019), Résolution du Parlement européen du 24 octobre 2019 sur les opérations militaires de la Turquie dans le nord-est de la Syrie et leurs répercussions (2019/2886(RSP)), http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0049_FR.html
  4. Commission européenne (2019), Syrie, Fact Sheet, https://ec.europa.eu/echo/where/middle-east/syria_fr