Kiev. Cinquante millions de dollars1 pour le développement des infrastructures portuaires de la ville de Marioupol. Non pas dans l’absolu une quantité immense, mais le énième signe d’une présence croissante. Nous parlons de la Chine en Ukraine et des accords bilatéraux de plus en plus fréquents entre les deux pays, de nature commerciale et infrastructurelle avant tout.

Pour la République populaire, Kiev est beaucoup plus importante qu’on ne le pense généralement. Déjà premier fournisseur de maïs2 et l’un des plus importants exportateurs d’armes, le pays d’Europe de l’Est est également entré dans le radar chinois surtout pour sa position géographique privilégiée, qui en fait une porte naturelle sur le Vieux Continent. Ce n’est pas un hasard si, depuis la conception de la BRI, les investissements chinois ont littéralement explosé : ils sont aujourd’hui jusqu’à 50 fois plus élevés qu’il y a dix ans3.

Dans l’ensemble, Pékin est aujourd’hui le premier partenaire commercial de Kiev, un record naturellement dicté par la réduction drastique (de 65 %) du commerce avec la Russie, à commencer par les crises de Crimée et de Donbass.

À Mariupol’, les investissements chinois sont les bienvenus, notamment parce que la ville sur la mer d’Azov souffre particulièrement des frictions avec la Russie. En fait, la ville industrielle est placée entre le front du Donbass, au nord, qui, ces dernières années, a inévitablement fini par l’impliquer dans les affrontements entre Kiev et les républiques séparatistes, et la mer d’Azov, contrôlée en fait par les Russes avec l’annexion de la Crimée et la construction du Krimskij Most4. En plus de relier la péninsule contestée au continent russe, le pont de discorde sépare la mer Noire de la mer d’Azov, faisant de cette dernière un bassin inaccessible pour les grands navires qui animaient la vie portuaire du Mariupol’.

Il est difficile pour les investissements de Cofco – la société d’État chinoise qui a signé le protocole d’accord avec les autorités de Mariupol’ – de réussir à renverser cette situation, mais au moins ils donnent espoir à une région économiquement défavorisée. C’est pourquoi le gouvernement central de Kiev met tout en œuvre pour encourager l’arrivée des Chinois, tout d’abord en supprimant les obstacles (par exemple, par la privatisation des entreprises publiques, approuvée par Zelensky il y a quelques jours)5 qui empêchent de créer un bon « climat commercial ». A long terme, le yuan pourrait contribuer au redressement de l’ancienne république soviétique.

En arrière-plan, et évidemment pour des raisons différentes, restent les perplexités des deux autres grandes puissances impliquées dans l’échiquier ukrainien : les Etats-Unis et la Russie.

Les premiers craignent naturellement la pénétration chinoise en Europe. Ils ont réussi à maintenir Kiev loin de Moscou dans une large mesure, et ils ne voudraient certainement pas que cette dernière soit remplacée par Pékin. C’est la raison pour laquelle ils soulèvent depuis un certain temps des objections aux choix ukrainiens sur le terrain6.

Quant à la Russie, elle n’a d’abord aucun préjugé contre les relations sino-ukrainiennes : il vaut mieux pour Kiev d’établir des liens avec l’Est qu’avec l’Ouest, c’est le raisonnement du Kremlin. Le problème se pose cependant à partir du moment où les liens ukrainiens avec l’Est présupposent ceux avec l’Ouest. En d’autres termes, l’Ukraine fait partie d’un projet chinois plus vaste dont le marché européen ne peut être exclu – alors que le marché russe le peut. Les routes de la soie exigent une plus grande intégration, ou idéalement une zone de libre-échange unique, entre l’Ukraine et l’Union. Rebus sic stantibus, ça ne se passe pas bien à Moscou.

Mais ce n’est pas tout. Pékin comprend mais ne partage pas la politique russe à l’égard de Kiev. Jusqu’à présent, elle a maintenu une attitude neutre, ne soutenant pas les sanctions occidentales (et dans certains cas soutenant les Russes) mais reconnaissant le droit ukrainien à l’intégrité territoriale. En fait, la Chine a été endommagée par l’annexion de la Crimée par la Russie, ce qui a entravé ses projets d’investissement à Sébastopol (détournés vers Odessa et d’autres sites côtiers ukrainiens, dont Mariupol’). Moscou et Pékin n’arriveront pas à la confrontation ouverte pour Kiev, mais les frictions et les malentendus resteront toujours à portée de main.

Perspectives :

  • 2024 : D’ici là, le gouvernement ukrainien prévoit de faire croître son économie de 40 % et d’attirer 50 milliards d’investissements étrangers.
  • 2049 : centenaire de la République populaire de Chine et date prévue d’achèvement de la BRI.