Ankara. Annoncée depuis plusieurs mois l’offensive turque contre l’administration autonome kurde du nord de la Syrie a débuté ce mercredi 9 octobre dans l’après-midi. Erdogan a annoncé sur son compte Twitter le début de l’opération baptisée « Source de paix », immédiatement suivie par des bombardements de l’aviation turque le long de la frontière côté syrien et le début des combats dans certaines villes frontalières.

Tout a commencé par un communiqué de la Maison Blanche le dimanche 6 octobre annonçant le retrait des troupes américaines présentes le long de la frontière syrienne avec la Turquie. Ce communiqué indiquait que la décision découlait d’un coup de fil entre Recep Tayyip Erdogan et Donald Trump et avait pour objectif de laisser la Turquie lancer son opération prévue de longue date dans le nord de la Syrie. Le lundi matin le président américain avait ensuite tweeté « Il est temps pour nous de sortir de ces guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup sont tribales, et de ramener nos soldats à la maison », ce qui appuyait la thèse d’un retrait total des forces américaines en Syrie.1

Cette annonce a été vécue comme un véritable coup de poignard dans le dos par les autorités kurdes des Forces démocratiques syriennes qui se battent aux côté de la coalition internationale contre l’État islamique depuis plus de quatre ans. L’annonce a également pris de court les autres pays occidentaux ayant des forces sur place comme la France, mais a surtout provoqué un tollé général aux Etats-Unis, jusque dans le camp du président américain, à la tête duquel se trouve le sénateur Lindsey Graham.

Le lendemain, un responsable américain voulant garder l’anonymat a déclaré que seul 50 à 100 soldats américains étaient concernés et qu’il ne s’agissait pas d’un retrait mais d’un redéploiement vers d’autres bases à l’intérieur du pays. Il a aussi ajouté que ce redéploiement ne représentait en aucun cas un feu vert pour une offensive turque contre les forces kurdes dans le Nord syrien, tout en confirmant que les États Unis ne s’opposeraient pas militairement à une telle opération, la Turquie étant un État membre de l’OTAN.

Le président américain s’est ensuite montré menaçant sur Twitter en écrivant que si la Turquie devait dépasser les bornes, il détruirait et anéantirait l’économie turque. Il a ensuite ajouté que même si les États-Unis étaient en train de quitter la Syrie cela ne signifiait pas pour autant qu’il abandonnerait les Kurdes, qu’il continuerait donc à les aider en leur fournissant des armes et en les aidant sur le plan financier.

Toujours est-il que, malgré les menaces, l’opération a bien été lancée. Les combats se concentrent en particulier dans les villes frontalières de Tall Abyad et Ras al-Ayn entre la Turquie et le Rojava. Côté kurde de nombreuses victimes, notamment civiles, sont déjà à déplorer. L’Observateur Syrien pour les Droits Humains (OSDH) annonce plus de 50 morts et 70 000 personnes déplacées après seulement 48h de combats2. Outre la faute morale et la perspective d’une nouvelle crise humanitaire, le risque d’une résurgence de Daech est une conséquence fortement plausible. En effet, des cellules dormantes de Daech ont profité de l’opération turque pour passer à l’action, notamment à Qamishlo ou un attentat à la voiture piégé revendiqué par Daech a fait plusieurs victimes. Cette menace est d’autant plus forte que les Kurdes détiennent près de 11 000 prisonniers membres de Daech et les combats, notamment les bombardements, pourraient permettre à ces prisonniers de s’échapper. Un scénario qui se serait déjà produit samedi, après qu’un obus soit tombé sur le bâtiment d’une prison, cinq djihadistes dont un Français se seraient évadés.

L’objectif affiché d’Erdogan est de « sécuriser » sa frontière avec la Syrie en créant une zone tampon de 30 km de profondeur dans le territoire syrien pour protéger la Turquie de ce qu’il appelle « le problème kurde ». Avec cette opération ce sont les territoires kurdes contrôlés par les YPG, la milice kurde composante principale des FDS et considérée comme groupe terroriste par la Turquie, qui sont visés. Cependant cette action cache d’autres objectifs comme celui de relocaliser les 3,5 millions de réfugiés syriens présents sur le sol turc, en faisant une pierre deux coups, en changeant la géographie humaine de ce territoire, chassant les habitants kurdes pour les remplacer par des Arabes3. Cette opération militaire semble également être très apprécié par l’opinion publique, étant même validée et encouragé par le principal parti de l’opposition, les kémaliste du CHP, ce qui permet à Erdogan de détourner le regard du public de la situation économique catastrophique dans laquelle se trouve actuellement le pays.

Une fois l’opération lancé, sous le feu des critiques pour son inaction, le président américain s’est une fois de plus illustré en se justifiant dans un discours témoignant de ses profondes connaissances historiques : « Ils [les Kurdes] ne nous ont pas aidés pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ne nous ont pas aidés en Normandie, par exemple »4.

En réaction à la situation, les sénateurs américains Lindsey Graham et Chris Van Hollen sont parvenus à un accord bipartisane pour imposer de nouvelles sanctions à la Turquie. La France, l’Allemagne et le Royaume-Unis ont également réagi en demandant immédiatement une réunion du conseil de sécurité de l’ONU. Malheureusement, cette réunion n’a rien donné, toute tentative pour se mettre d’accord sur un texte qui condamne fermement l’opération turque a été bloquée, comme on pouvait s’y attendre, par la Russie mais aussi par les États-Unis. La Finlande, la Norvège, la Hollande et l’Allemagne ont déclaré la cessation immédiate des ventes d’armes à la Turquie.

Néanmoins, ces réactions internationales semblent bien dérisoires compte tenu de la situation sur le terrain. L’adage kurde « nous n’avons pas d’amis sauf les montagnes » semble se confirmer une fois encore.

Perspectives :

  • Nouvelle crise humanitaire majeure dans le nord de la Syrie, déjà près de 70 000 personnes poussées à l’exode.
  • Occupation militaire turque du Rojava et fin de l’autonomie de fait du Kurdistan syrien.
  • Résurgence du groupe État islamique.
  • Perte significative de l’influence des États-Unis en Syrie et ce faisant au Moyen-Orient.