Mardi 10 septembre, la présidente désignée de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, a présenté son équipe de candidats aux postes de commissaires. Sa proposition a beaucoup fait parler, de toutes parts, en suscitant autant de curiosité que de critiques .

Mais qui sont ces commissaires ? Que nous dit leur nomination des orientations géopolitiques de la nouvelle Commission ? Aujourd’hui, Le Grand Continent démarre une série de plusieurs épisodes pour présenter ces candidats, en choisissant à chaque fois des profils intéressants et révélateurs. Pour chaque candidat sera présentés le parti national d’appartenance ainsi que la provenance géographique.

Grèce : Margaritis Schinas (ND, PPE)

Porte-parole théâtral de la Commission européenne de 2014 à 2019, le Grec Margaritis Schinas avait paradoxalement réussi à rester à peu près à l’ombre du regard des autres citoyens européens depuis le début de sa carrière bruxelloise. Ce mardi 10 septembre pourtant, les projecteurs se sont soudainement braqués sur lui lors de l’annonce de l’attribution des portefeuilles des nouveaux commissaires européens. 

Éphémère député européen entre 2007 et 2009, le conservateur avait franchi quasiment tous les échelons internes à la Commission, après être passé par de prestigieuses écoles comme le Collège de Bruges, la London School of Economics et même la Harvard Business School en 2011. Ainsi fin connaisseur des institutions européennes, le choix de Margaritis Schinas comme commissaire grec par le nouveau Premier ministre grec (de droite) Kyriákos Mitsotákis n’avait pas surpris grand monde. C’est en fait de Bruxelles qu’arriva la polémique.

« Vice-President for Protecting our European Way of Life ». Voici, en anglais, l’intitulé exact du nouveau commissariat en charge des migrations  (« protection de notre mode de vie européen »), il y a peu encore intitulé « Migrations, affaires intérieures et Citoyenneté ». Membre de la droite européenne (Nouvelle Démocratie – PPE), l’opposition y a tout de suite vu un « clin d’oeil douteux à l’extrême-droite » de la part de la présidente de la Commission européenne dont la gouvernance s’annonce plus que délicate (Ursula von der Leyen a été élue avec le plus faible score de l’histoire de la Commission). « Honteux » écrivit quant à elle sur Twitter l’euro-deputée Place publique Aurore Lalucq (France). Jointe par téléphone, celle-ci va plus loin, s’inquiétant du signal envoyé aux peuples européens alors que la non-réaction de la France devient « lourde de sens ». 

Le principal intéressé, M. Schinas, a quant à lui mis en avant son souhait de « moderniser le système d’asile » pour protéger « nos citoyens et nos frontières ».

Habitué des polémiques lorsqu’il devait faire le service après-vente de Jean-Claude Juncker devant la presse européenne, à 57 ans, le Grec Margaritis Schinas devra cette fois défendre son propre poste.

France : Sylvie Goulard (LREM, RE)

Sylvie Goulard, 54 ans, est la candidate française à la Commission européenne. L’éphémère ministre des Armées et soutien de la première heure d’Emmanuel Macron quittera son poste de second sous-gouverneur de la Banque de France pour revenir à Bruxelles.

Fédéraliste convaincue et cofondatrice du groupe Spinelli, Sylvie Goulard possède une expérience approfondie des affaires européennes qui débute dès son premier poste au ministère des Affaires étrangères lorsqu’elle intègre en 1989 l’équipe chargée de négocier le traité 4+2 sur la réunification de l’Allemagne. Elle occupe ensuite successivement le poste de conseillère politique du président de la Commission européenne (2001-2004), Romano Prodi, et de présidente du Mouvement européen-France (ME-F) en 2006. Députée européenne centriste de 2009 à 2017, elle est membre de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen et y milite en faveur de plus de contrôle et de transparence sur les marchés financiers.

Sylvie Goulard dispose ainsi d’un profil de technicienne des questions économiques qui l’a conduite à obtenir le vaste portefeuille du marché intérieur comprenant l’industrie, l’économie numérique, la défense et l’espace. Le poste est stratégique pour la France qui ne cache pas ses ambitions en matière de défense européenne. Il consacre également le tournant industriel pris par l’Union européenne dans sa politique de sécurité et de défense, en l’accompagnant d’une nouvelle direction générale dédiée à la question.

La candidate française présente plusieurs atouts qui lui permettraient de « jouer un rôle majeur au sein de la prochaine Commission », selon l’Elysée. En proposant une candidate, la France répond tout d’abord à l’exigence de parité exprimée par la future présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Sylvie Goulard avait elle-même regretté en 2016 l’absence de femmes à la tête des institutions européennes lors de sa candidature à la présidence de l’hémicycle, et s’inscrit donc dans la même perspective que l’ex-ministre de la Défense allemande. En choisissant ensuite une germanophone bénéficiant d’un large réseau de contacts outre-Rhin, la France semble vouloir renforcer la relation spéciale qui unit les deux pays au sein de l’Union européenne. Enfin, Sylvie Goulard possède un profil d’experte reconnue qui jouera certainement en sa faveur lors de sa future audition devant le Parlement européen.

Néanmoins, les députés ne manqueront pas de la mettre en difficulté en évoquant l’affaire judiciaire en cours des assistants du MoDem au Parlement européen qui l’a poussée à démissionner de son poste de ministre des Armées en juin 2017. La candidature de Sylvie Goulard est d’ailleurs contestée par plusieurs personnalités politiques et des associations telles qu’Anticor qui ont souligné par la même occasion le revenu particulièrement élevé (10 000 euros bruts par mois) versé par un think tank américain en contrepartie de ses activités de conseil alors qu’elle était eurodéputée.

Le retard avec lequel a été annoncée la nomination de Sylvie Goulard témoigne des hésitations du gouvernement vis-à-vis d’une candidate qui ne fait visiblement l’unanimité ni à Paris, ni à Bruxelles. La candidate française devra donc faire ses preuves devant les députés européens lors de sa future audition afin de pouvoir mettre en œuvre le portefeuille ambitieux qui lui a été confié par Ursula von der Leyen.

Hongrie : László Trócsányi (FIDESZ, EPP)

Membre de Fidesz, László Trócsányi a occupé de nombreuses fonctions à la tête de la Hongrie. Juriste de formation, il a été à plusieurs reprises, de 2000 à 2014, ambassadeur de Hongrie en Belgique, au Luxembourg et en France. Après ses séjours en Europe occidentale, il est retourné à Budapest pour devenir ministre de la Justice d’Orban de 2014 à 2019. Spécialiste des questions constitutionnelles, auteur de nombreux ouvrages sur le droit public et la politique hongroise, comme Notre constitution (2006) ou Intégration nationale et intégration européenne (2008) il a occupé des fonctions à la Cour constitutionnelle hongroise (2007-2010) et au sein de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe (2005-2013).

Élu député européen en mai 2019, plusieurs des mesures qu’il avait mises en avant quand il était ministre de la Justice ont été sévèrement critiquées par d’autres parlementaires européens, comme la criminalisation des ONG s’occupant des réfugiés, la réforme du système judiciaire interprétée comme un affaiblissement face à l’exécutif ou encore le traitement infligé à l’Université d’Europe centrale, fondée par Soros. Le nom de Trócsányi a donc beaucoup fait grincer des dents au Parlement, en particulier depuis qu’il a été proposé au poste de commissaire au voisinage et à l’élargissement.

Irlande : Phil Hogan (Fine Gael, PPE)

Membre de Fine Gael (PPE), Phil Hogan est l’actuel commissaire aux questions agricoles : contrairement à ses prédécesseurs, il quittera son poste sans que les eurodéputés n’aient voté le cadre général de la future période de la Politique agricole commune (2021-2027), ce qui nécessitera la mise en place de dispositions de transition. Ce ne sera cependant pas à Hogan de poursuivre la réforme de la PAC car Ursula von der Leyen a décidé de confier le portefeuille de l’Agriculture à la Pologne. Les observateurs de la Commission qui s’accordaient à dire que Hogan convoitait le portefeuille européen du Commerce voient dans ce geste une raison d’espérer pour l’Irlandais. Les ambitions de Hogan sont confirmées aujourd’hui par la répartition finale présentée par Ursula von der Leyen. Ces derniers mois, Hogan avait soigné son profil de futur commissaire au Commerce, en s’employant à défendre l’accord avec le Mercosur et en attaquant les projets de no-deal de Boris Johnson. Pour justifier la deuxième nomination de Phil Hogan à la Commission, le Taoiseach Leo Varadkar (également Fine Gael) avait aussi mis en avant ce contexte d’incertitude autour du Brexit, suggérant que la considération dont Hogan jouit à Bruxelles et ses capacités de négociations permettraient de minimiser les implications négatives que le Brexit pourrait avoir sur l’Irlande.