Moscou. Des élections locales et régionales ont lieu aujourd’hui, dimanche 8 septembre, en Russie. Ces scrutins suscitent habituellement un intérêt limité en dehors du pays. Cependant, la campagne qui a précédé le vote a entraîné une recomposition des équilibres de pouvoir significatif pour le futur de la Russie. La pérennité du régime dirigé par Vladimir Poutine repose dorénavant sur un usage toujours plus important de la force.

Premièrement, ces élections sont marquées par le rejet de la part des citoyens russes du parti du président Vladimir Poutine, Russie Unie (RU). La popularité de RU a très largement chuté suite à des réformes impopulaires, notamment l’augmentation de l’âge de départ en retraite.1 De nombreux candidats aux élections se présentent ainsi pour leur réélection comme étant des candidats « indépendants », bien qu’ils reçoivent toujours des financements importants de la part d’organisations liées à RU. À Moscou, aucun candidat ne se présente officiellement sous la bannière du parti. En outre, six gouverneurs de régions, auparavant membres de RU, ont fait campagne pour leur réélection en tentant de masquer leurs liens avec le parti.2

La victoire du parti du président permettait auparavant de légitimer les actions du Kremlin et d’assurer une unité à travers le pays via un pouvoir vertical. L’abandon de l’affiliation à RU par les candidats risque de compromettre ce mécanisme en permettant l’émergence de figures influentes au niveau local. En outre, le déclin de Russie Unie n’est pas seulement la traduction de la chute de la popularité de Vladimir Poutine. Le rejet du parti témoigne davantage du rejet par la population de Dmitry Medvedev, premier ministre et dirigeant de la formation, et du clan des « libéraux-technocrates » auquel il est affilié. Ces individus, qui bénéficiaient de la structure du parti pour obtenir un certain statut et pouvoir, ont été perçus comme les principaux responsables des réformes impopulaires et du ralentissement de l’économie.

Deuxièmement, ces élections ont été marquées par des importantes manifestations. Des milliers de personnes se sont mobilisés plusieurs weekends successifs pour dénoncer l’interdiction des candidats de l’opposition à se présenter aux élections du parlement de Moscou. Des nouvelles figures de l’opposition ont émergé, en premier lieu Lyubov Sobol, et ils ont su rallier à eux des manifestants très jeunes et habité par un profond désir de changement. Le cas de Yegor Zhugov en est l’illustration. Des centaines d’étudiants de l’École des hautes études en sciences économiques de Moscou (HSE) ont signé une pétition pour demander la libération de cet étudiant de 21ans, enfermé pour avoir appelé à manifester sur Youtube.3

L’opposition est également parvenue à s’organiser. La Fondation Anti-Corrution (FBK) et son leader Alexeï Navalny ont mis en place un système de « vote intelligent » afin de s’opposer au régime. Ce système indique aux citoyens enregistrés sur la plateforme quels sont les candidats les plus à mêmes de provoquer une défaite des candidats choisis par le Kremlin. Certaines personnalités de l’opposition, notamment l’homme d’affaire en exil Mikhail Khodorkovsky, ont exprimé leur refus de participer à ce système puisque cela nécessite de voter pour des candidats de l’opposition dit systémiques, membre du parti communiste ou des sociaux-libéraux de Iabloko, qui acceptent bien souvent les règles établies par le régime.4 Malgré cette division, la mise ne place du « vote intelligent » indique que l’opposition tente d’élargir son audience et son champ d’action. Surtout, cette plateforme permet à des citoyens qui ne souhaitent pas descendre dans la rue de participer à une première forme de résistance contre le pouvoir.

Troisièmement, dans ce contexte de déclin du parti RU et de montée en puissance de l’opposition, les « siloviki », membres des forces de l’ordre, sont devenus indispensables aux yeux du Kremlin pour garder le pouvoir. Vladimir Poutine a refusé d’offrir des concessions aux membres de l’opposition et les « siloviki » ont ainsi eu recours à une violence sans précédent pour repousser la contestation. Ce schéma est destiné à se reproduire lors des futures élections.

Le régime de M. Poutine offrait, par le passé, certaines occasions aux membres de l’opposition de participer à des élections qui étaient alors plus ou moins contrôlés par le Kremlin. Alexeï Navalny avait ainsi remporté 27 % des suffrages lors des élections pour la mairie de Moscou en 2013. Ce système d’autocratie électorale risque d’appartenir au passé. Le Kremlin s’est en effet enfermé dans une spirale de violence. Cet été, l’usage de la force a participé à la galvanisation de l’opposition et à la délégitimation des autorités. Il est peu probable que Vladimir Poutine prenne à nouveau le risque de laisser des membres de l’opposition se proposer comme candidats, puisque la possibilité de voir un proche du Kremlin perdre est plus grande qu’auparavant. Le recours à la force apparait alors comme la seule solution pour pouvoir repousser les manifestants. Les siloviki constituent ainsi le socle sur lequel le pouvoir russe doit se reposer pour assurer la survie du régime bien que, dans le même temps, ils participent à la délégitimation du pouvoir et à la mobilisation de l’opposition par leur recours à la force.5 Les leaders des institutions chargées du maintien de l’ordre sont destinés à prendre une place de plus en plus importante au sein des structures de l’État russes, aux dépens des libéraux, puisque ces derniers dépendent des siloviki pour remporter les élections.

Alors que les élections dans un régime autocratique peuvent participer à la légitimation du pouvoir et à la division de l’opposition, les scrutins de ce dimanche ont eu l’effet inverse : bien qu’ils aient un enjeu relativement limité, ils ont entrainé une recomposition des équilibres de pouvoir. Le recours à la force est destiné à se reproduire lors des élections parlementaires en 2021 et présidentielles en 2024.