Tunis. Bien que la République tunisienne se caractérise par un parlementarisme fort, l’élection présidentielle qui approche n’est pas sans importance. Depuis la mort du président Béji Caid Essebsi, le 25 juillet dernier, le pays, actuellement en phase de transition est présidé par Mohamed Ennaceur, le chef de l’Assemblée des représentants du peuple. Le président par intérim est tenu par la Constitution d’organiser une élection moins de trois mois après la mort du président anciennement élu. Pour l’heure Mohamed Ennaceur semble relever le défi, il parvient à piloter la mise en place du premier tour de l’élection présidentielle dont la date a été fixée au 15 septembre. Ce succès du président par intérim et des instances électorales relève presque de l’exploit lorsque l’on sait que la jeune république tunisienne ne dispose pas encore d’une Cour constitutionnelle opérationnelle chargée de fixer le cadre électoral.

Malgré tout, l’élection à venir s’inscrit dans un contexte de forte fragmentation politique. Comme lors de l’élection de 2014, un phénomène de multiplication des candidatures a morcelé l’offre politique nationale. Sur les 97 dossiers de candidatures déposés à l’Instance supérieure indépendante, pas moins de 26 ont été officiellement retenus – les autres ayant été refusés principalement en raison de manque de parrainages et de cautions financières.1

La division politique atteint un niveau particulièrement élevé pour cette deuxième élection présidentielle de la Tunisie post-printemps arabe. Contrairement à celle de 2014 caractérisée par l’absence de certains acteurs structurants de la scène politique tunisienne, plusieurs grandes factions politiques se sont lancées cette fois-ci dans la course à la présidentielle. Notamment le parti islamiste (aussi appelé « musulman démocrate ») Ennahdha qui présente pour la première fois de son histoire, à travers la personne d’Abdelfattah Mourou, un candidat à l’élection présidentielle. Mais, le mystère plane sur la popularité actuelle du parti qui était sorti vainqueur des municipales de 2018. En effet, Abdelfattah Mourou oriente sa campagne principalement vers des enjeux économiques et sociaux, au risque de perdre une partie de son électorat sensible à la dimension religieuse du parti.

La multiplication de candidats fermement ancrés dans le paysage politique tunisien laisse peu de place à l’émergence d’une faction qui dominerait ostensiblement la campagne. A l’image du Premier ministre désormais candidat, Youssef Chahed, qui peine à regagner le niveau de popularité qu’il avait en 2016. Alors qu’il mène campagne sur l’expérience du pouvoir acquise ces dernières années, sa difficulté à faire significativement baisser le taux de chômage l’empêche de voir sa réputation décoller auprès l’opinion publique.

L’assise de ces factions politiques classiques est détériorée par la campagne sur fond de populisme menée par Nabil Karoui. Ce favori des sondages est particulièrement populaire auprès des populations tunisiennes marginalisées. En ce sens il pique des électeurs traditionnellement ralliés à Ennahdha. L’avance de ce parti qui se présente comme une force avant tout populaire s’explique notamment par la puissance financière et médiatique de Nabil Karoui. En effet, en plus d’être très bien installé dans le monde de la publicité à travers son groupe Karoui&Karoui, le candidat en tête des sondages est propriétaire de Nessma TV, l’une des chaînes télévisées les plus importantes du pays.

Cependant, sa mise en détention intervenue le 23 aout dernier pour fraude fiscale et blanchiment d’argent pourrait limiter les ambitions du favori des sondages.2 Pour l’heure aucune décision de justice n’a été rendue à son encontre, Nabil Karoui demeure donc présidentiable. Mais, son passage par la case prison semble avoir des répercussions contradictoires sur les électeurs tunisiens. D’une part il renforce son profil de candidat antisystème, mais d’autre part, il s’aliène une partie de l’électorat tunisien qui demeurait sceptique vis-à-vis de son intégrité en politique.

En définitive, à un peu plus d’une semaine des présidentielles le jeu des élections demeure plus ouvert que jamais. Il n’est pas certain que le premier tour suffise à faire émerger une majorité absolue. Au point que l’organisation d’un second tour reste un scénario envisageable.

Perspectives :

  • Premier tour du scrutin présidentiel fixé le 15 septembre
  • Elections législatives le 6 octobre
  • Le nouveau président sera-t-il en mesure de munir la République tunisienne d’une Cour constitutionnelle opérationnelle ?