Londres/Rome. En apprenant, en pleines vacances du 15 août, que la Ligue de Matteo Salvini provoquait une crise politique impromptue en Italie, certains experts ont tout de suite mesuré l’impact potentiel sur le calendrier européen. Des élections anticipées le 27 octobre ou le 3 novembre interviendraient simultanément avec un possible « hard Brexit », une hypothèse de plus en plus envisagée depuis que Boris Johnson est devenu Premier ministre. Si l’on ajoute la menace de taxes douanières américaines et ses répercussions sur le commerce mondial, certains analystes n’hésitent pas à évoquer le risque de « perfect storm » à l’automne, alors que la Commission européenne est censée entrer en fonction le 1er novembre.1

Le parallèle entre les crises politiques en cours au Royaume-Uni et en Italie est d’autant plus intéressant qu’une part de la bataille populiste contre parlementarisme semble se jouer, simultanément, dans les deux pays. Au Royaume-Uni, la presse a révélé une intention plutôt préoccupante pour la démocratie parlementaire britannique. La publication d’un échange de mails de conseillers gouvernementaux de haut rang adressés à un conseiller du bureau de Johnson, a révélé une volonté au sommet de l’exécutif de se renseigner sur la praticabilité juridique d’un blocage du Parlement pendant cinq semaines, à partir du 3 septembre jusqu’au dernier Sommet européen des 17 et 18 octobre. Il s’agirait de court-circuiter Westminster pour rendre ainsi inexorable le Brexit le 31 octobre prochain, avec ou sans accord. Or, le Parlement a le dernier mot sur l’affaire du Brexit et a voté une résolution en ce sens au premier semestre ; il détient en outre le pouvoir de défier le Premier ministre, si nécessaire.

En Italie, le rôle central dévolu au Parlement par la Constitution de 1946 est au cœur de la crise actuellement en cours. Le choix du ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, de déclencher en maillot de bain une crise gouvernementale et d’appeler immédiatement à des élections anticipées depuis la plage de Sabaudia, au sud de Rome, n’est pas seulement une affaire de style. C’est une manière de vouloir passer outre les prérogatives du président de la République, seul à pouvoir dissoudre le Parlement, et la possibilité de constituer une majorité alternative bénéficiant du soutien d’une majorité de parlementaires. La presse italienne a d’ailleurs immédiatement évoqué la nécessité de « parlementariser » la crise en cours, ce qui a pu avoir lieu à la suite de la décision du président du Conseil Giuseppe Conte de démissionner. Dix-huit mois après les élections du 4 mars, l’Italie vient, en plein été, de se retrouver plongée dans un débat sur la constitution d’une majorité alternative à la coalition Mouvement 5 Étoiles – Ligue, constitutionnellement légitime mais politiquement fragile, compte tenu des enquêtes d’opinion encore largement favorables au gouvernement sortant. Ce débat s’est, en outre, encore plus tendu à cause du ton antiparlementariste de Matteo Salvini, qui a accusé les députés de ne « pas vouloir bouger leur… » en plein été et a demandé aux Italiens les « pleins pouvoirs » pour gouverner.

À Westminster, la réaction des parlementaires pro-européens – qui ont passé les vacances à étudier la possibilité de repousser la date du 31 octobre, est celle d’une forte indignation car un blocage du Parlement serait un affront à la démocratie, un acte d’irresponsabilité.2. Dans un article paru dans The Times, selon l’ex chancelier de l’Échiquier, Philip Hammond, il n’y a pas de mandat populaire ni parlementaire pour un ‘no deal’. Bref, bloquer le Parlement provoquerait une crise constitutionnelle.3

Westminster peut-il encore passer une loi pour éviter un ‘no-deal’ ? C’est la question que posait il y a quelques jours le Financial Times, dans un article très détaillé4. Une majorité d’élus sont opposés à une sortie sans accord. Ils seraient actuellement en train d’étudier plusieurs options offertes par la pratique parlementaire pour éviter de voir le parlement court-circuité. Boris Johnson mettra certainement en avant la « volonté du peuple » exprimée lors du référendum de 2016, mais la crise constitutionnelle serait si profonde qu’il s’exposerait à un vote de défiance particulièrement risqué pour son avenir politique. Qui sait si Johnson devra, ou non, se résoudre à « parlementariser », comme Matteo Salvini, le pari qu’il a lui-même lancé et quelle sera la preuve de résistance donnée par les anticorps de la démocratie parlementaire ?

Perspectives :

  • Mardi 28 août : fin des consultations du président de la République italienne
  • Lundi 3 septembre : rentrée parlementaire à Westminster
  • Jeudi 31 octobre : date butoir pour le Brexit
Sources
  1. HALLIGAN Liam, The Eurozone risks imploding, Business Breaking News, August 24, 2019
  2. HELM Toby, STUART Heather, Boris Johnson seeks legal advice on five-week parliament closure ahead of Brexit, The Guardian, 24 aout 2019
  3. Former UK chancellor : No mandate for no-deal Brexit, Politico, 14 aout 2019.
  4. Can parliament pass a law to stop no-deal Brexit ?, Financial Times, 19 aout 2019