Oakland, California. Depuis 1986, un institut de recherche international, le Global Footprint Network (GFN), publie le célèbre « jour du dépassement » (Earth Overshoot Day). Cette date, théorique, marquerait chaque année le début de la période « à crédit » de l’humanité après avoir consommé l’ensemble des ressources renouvelables annuelles disponibles.

Le jour de dépassement de 2019 est tombé un 29 juillet, date chaque année plus avancée, bien que sa progression connaisse un certain ralentissement depuis 10 ans1. Si l’on en croit le calcul, l’humanité vit à crédit depuis près d’un demi-siècle. En 1970, le jour de dépassement déterminé était le 29 décembre. Calculée à partir de l’empreinte écologique, le résultat final a l’avantage d’être intuitif et percutant. Ce sont sûrement ces deux traits qui en font un indicateur largement relayé chaque année par le monde médiatique.

Le jour du dépassement est obtenu en divisant la biocapacité de la planète par l’empreinte écologique, le tout multiplié par le nombre de jours annuels.

La biocapacité annuelle est une estimation de la capacité des écosystèmes à produire les ressources naturelles consommées par l’humanité et à absorber les déchets et la pollution anthropiques. Selon l’OCDE, l’empreinte écologique est « la mesure en hectares de la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée »2. Elle varie ainsi en fonction du nombre d’habitants et de leur mode de vie entre les pays. Pour parvenir au calcul, une nouvelle unité de mesure a été définie : l’hectare global (Hag). Les surfaces nécessaires à la production des ressources naturelles et donc au calcul de la biocapacité et de l’empreinte écologique sont exprimées en hectares globaux. Dans cette classification, il existe six types de surface : forêts, aires de pêche, terres cultivées, pâturages, terres développées et étendues de forêt nécessaires pour réduire les émissions de carbone de l’homme.

Le calcul du GFN permet également d’obtenir le nombre de planètes théoriques nécessaires pour subvenir à nos besoins actuels  : il faudrait au total posséder 1,75 Terre pour l’ensemble des hommes. La France aurait besoin à elle seule de 2,7 planètes pour répondre à ses besoins, les Etats-Unis 5, l’Australie 4,1 tandis que l’Inde n’en utiliserait que 0,7.

La « force » du jour du dépassement est de proposer une mesure statistique de l’état de la planète et du poids des activités humaines. Cette expression simple de la « dette écologique » permet d’interpeller à la fois Etats et citoyens, facilitant ainsi la diffusion d’un message écologique et les incitations vers la construction d’un monde plus résilient. Cependant, si le jour du dépassement reste un outil pertinent à cet égard, la méthode de calcul mérite également d’être étudiée pour en révéler les failles et les combler.

Comme tout indicateur et agrégat, le résultat est hautement dépendant d’un modèle, lui même sujet aux biais des postulats et hypothèses de départs. Ainsi, celui-ci est forcément une « simplification » et une tentative de représentation de la réalité. Comme pour tout indicateur, la première chose à prendre en compte est l’origine et la qualité des données utilisées pour son calcul. Le GFN travaille ainsi à partir de plus de 15 000 données venant des Nations Unies, de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Si elles sont reconnues par la plupart des organisations pour leur qualité, les « trous » – données indisponibles ou non mesurées – sont inévitables. De ce fait, de nombreuses critiques3 soulignent que ce « jour du dépassement » serait en fait sous-estimé. De la même manière, la méthodologie est affinée chaque année, ce qui peut entraîner des écarts relativement importants dans le jour du dépassement annoncé (1 mois d’écart, par exemple, entre 2009 et 2010).

La comparaison d’éléments aussi variés que la déforestation, la superficie agricole ou encore les émissions de gaz à effet de serre liés au transport, s’avère compliquée. Toutes les surfaces de la terre (surfaces agricoles, fermes, zones de pêche) considérées dans le calcul n’ont pas la même biocapacité, et l’unité de l’hectare global ne permet pas de rendre compte de ces disparités. À titre d’exemple, certains territoires sont des « réservoirs écologiques » : le Brésil a ainsi une bonne biocapacité, grâce à l’étendue de la forêt amazonienne. La France a besoin de 2,9 planètes pour couvrir ses besoins, mais sa biocapacité est de 1,8 en raison de la richesse écologique de la Guyane. Aussi Léo Hickman, ancien directeur de WWF Royaume-Uni, précise-t-il que cet indicateur compare des « pommes et des poires » et ne doit pas être pris « comme un chiffre absolu »4.

D’autres critiques plus véhémentes considèrent ce jour de dépassement et l’empreinte écologique en général comme une pseudo-science. Il est particulièrement difficile de calculer une empreinte écologique mondiale tant les méthodes varient à travers le monde. Michael Shellenberger, directeur du Breakthrough Institute, un institut environnemental américain, affirme en effet que les méthodes de calcul du jour de dépassement sont peu fiables et ne devraient pas être utilisées5. Selon lui, il serait préférable de mesurer l’empreinte carbone de la planète, car si l’humanité vit endettée, c’est principalement à cause du carbone. De la même manière, certains, comme le journaliste Fred Pearce de New Scientist, recommandent de concentrer l’indicateur sur les émissions de gaz à effet de serre6.

Détails du calcul fait par le Global Footprint Network

Quelques articles scientifiques pointent également que cette empreinte écologique ne prend pas en compte tous les impacts environnementaux, comme le phénomène de dégradation des terres et leur qualité d’exploitation, ou encore la pollution de l’air, de l’eau et des sols, ainsi que l’épuisement des ressources non renouvelables.7

L’Indonésie figure, par exemple, dans les pays ayant la plus faible empreinte écologique, alors que ce pays a le plus fort taux de déforestation du monde selon une étude menée en 20148.

Une dernière critique formulée à l’encontre du jour de dépassement est qu’il ne donne pas vraiment de solutions économiques concrètes, permettant aux Etats de réconcilier développement et durabilité ; il ne met en lumière qu’une partie de la solution au problème du dépassement, à savoir le comportement individuel et la demande humaine. Devenir un consommateur responsable, promouvoir une certaine sobriété énergétique sera certes indispensable pour pour résoudre les défis posés par l’épuisement des ressources et le réchauffement climatique ; mais cela ne saurait remplacer une approche plus globale de ce problème systémique : si le système économique est incompatible avec le défi écologique et avec la volonté de changement exprimée par les citoyens, ce même changement ne pourra pas avoir lieu dans les proportions nécessaires pour combattre le réchauffement climatique.

Malgré les imperfections de cet indicateur, les associations environnementales s’accordent sur l’intérêt pédagogique de cette date, qui choque tout en permettant aux individus de s’approprier un indicateur statistique et la notion de « budget écologique ». Des appels à l’action ont ainsi été lancés avec le #Movethedate pour réduire de moitié le nombre de voitures (gain de 12 jours) ou encore faire moins d’enfants (30 jours).

Perspectives  :

  • La critique de M. Shellenberger, « Laissons tomber l’empreinte écologique et commençons à mesurer directement notre empreinte carbone. Et utiliser des mesures plus significatives pour vérifier si notre exploitation des terres, des forêts, des mers, est faite de façon durable » reste ainsi d’actualité. En effet, le dernier rapport du GIEC est alarmant sur la condition et la dégradation des terres, qui menacerait la sécurité alimentaire mondiale dans son ensemble, et qui exposerait près d’un quart de la population mondiale à des pénuries d’eau.9
  • Aujourd’hui, il n’est pas possible d’étudier l’impact des activités humaines sur les écosystèmes biologiques, et inversement (les services rendus par la nature à l’homme). D’importants efforts de recherche se poursuivent et pourraient permettre à terme d’obtenir un indicateur plus complet car incluant la biodiversité.
Sources
  1. SENET Stéphanie, L’Humanité vit de plus en plus au-dessus de ses moyens, Euractiv, Le Journal de l’Environnement, 30 juillet 2019.
  2. Glossaire des termes statistiques employés par l’OCDE, 2001
  3. PATTEE Estelle, Jour du dépassement, une équation en question, 1 août 2017, Libération
  4. HICKMAN Leo, Earth Overshoot Day : a day to forget or a day to remember ?, The Guardian, 20 août 2010.
  5. SHELLENBERGER Michael, Why Earth Overshoot Day And The Ecological Footprint Are Pseudoscientific Nonsense, Forbes, 29 juillet 2019.
  6. PEARCE Fred, Admit it : We can’t measure our ecological footprint, NewScientist, 20 novembre 2013.
  7. FIALA Nathan, Measuring sustainability : Why the ecological footprint is bad economics and bad environmental science, Ecological Economics, 2008.
  8. ARUNARWATI MARGONO Belinda et al, Primary forest cover loss in Indonesia over 2000-2012, Nature Climate Change, Juin 2014.
  9. FLAVELLE Christopher, Climate Change Threatens the World’s Food Supply, United Nations Warns, New York Times, 8 août 2019.