Pékin. Le 24 juillet 2019, Pékin publiait son nouveau livre blanc de la défense, le 10e, devenu « La défense nationale de la Chine à l’ère nouvelle ». Premier et important document officiel militaire de portée internationale depuis quatre ans, ce nouveau livre blanc a pour objectif de rendre transparente sa politique de défense et de dissiper les théories sur « la menace chinoise ». Le livre blanc n’est pas un recueil de la stratégie chinoise, qui est classifiée. Il présente néanmoins plusieurs représentations, ambitions et incertitudes du régime de Pékin. Nous pouvons retenir trois grands axes de réflexion : « la défense des intérêts vitaux » et de la stratégie de défense, dont Taiwan reste une question centrale ; la critique acerbe des États-Unis dans le système international de sécurité ; enfin, la dimension internationale de la défense chinoise1.

Le régime communiste chinois se sent encerclé et assiégé. Le livre blanc serait une réponse à cet environnement régional instable, compliqué et limitant la Chine dans sa montée en puissance. Le document rappelle les priorités fondamentales de défense (armée de rang mondial en 2050, doctrine nucléaire). Au premier chef, le discours à l’égard de son pourtour, Taiwan, Tibet, Xinjiang et des questions territoriales (comme la mer de Chine) sont particulièrement acerbes, suggérant la coercition. Tout en relativisant les dépenses militaires, en montrant que leurs parts relatives diminuent dans le PIB global au cours des décennies, le document ne tient pas compte de l’explosion du PIB lui-même sur la même période. Le terrorisme, la mention de l’intégration civilo-militaire, de l’intelligence artificielle ou de l’informatique quantique sont autant de thèmes que Pékin souhaite expliciter et envoyer un signal clair de puissance aux États-Unis et aux puissances occidentales2.

Les États-Unis, en réponse aux documents de défense publiés en 2017 et 2018 (The National Security Strategy et Summary of the National Defense Strategy), désignant la Chine comme un rival stratégico-militaire de premier plan, sont tout au long du livre blanc perçu comme responsable du désordre international, privilégiant l’usage des armes. Contrairement à ses dépenses jugées raisonnables, motivées par un environnement régional incertain, les États-Unis sont perçus avoir une politique coercitive. La Chine se présente alors fondamentalement à l’opposé des États-Unis. Ainsi, Pékin souligne son refus de l’hégémonisme, de l’expansionnisme et de l’établissement d’une sphère d’influence. Le tout est synthétisé selon la formule récurrente dans les discours de Xi Jinping de « communauté de destin commun »3.

Enfin, la dimension internationale de l’armée et du domaine de la défense chinoise à travers l’évocation du terme « coopération » (plus de 60 fois) témoignent des ambitions mondiales de Pékin, à moitié dissimulées. Le livre blanc rappelle le rapprochement stratégique et militaire avec la Russie, la construction par la Chine d’architectures de sécurité à l’instar de l’Organisation de Coopération de Shanghai et l’implication de la Chine, sans grandes précisions, dans la lutte contre le terrorisme et la sécurité internationale. Ainsi, Pékin développe un véritable discours sur son rôle croissant de médiation dans les crises internationales et pour la paix. Parmi le rayonnement mondial, le livre blanc rappelle que la présence de 130 bureaux d’attachés militaires et que l’APL a envoyé plus de 1 700 militaires étudier dans plus de 50 pays, tandis que la Chine accueillait plus de 10 000 militaires étrangers (plus de 130 pays) dans ses écoles et académies militaires. Pékin spécule sur sa volonté et sa capacité à être un acteur majeur dans la promotion de la paix mondiale et à la différence des États-Unis, voire de l’occident, un acteur bienveillant du système international4.

Ce nouveau livre blanc n’apporte rien de neuf en matière de défense et de stratégie de la Chine communiste. C’est un exercice de normalisation internationale, construit avec duplicité. Le document n’apporte pas de précisions sur les tensions liées à la puissance chinoise en Asie (ou sur d’autres continents), ni sur l’usage de ses armées à l’avenir (dissuasion nucléaire comprise) dans une dimension mondiale5.

Sources
  1. KANIA Elsa B., Innovation in the New Era of Chinese Military Power, The Diplomat, 25 juillet 2019
  2. CHARON Paul, MONTEIRO DA SILVA Carine, Le livre blanc sur la défense chinoise 2019 : un effort de communication lacunaire, IRSEM, note de recherche n° 76, 26 juillet 2019
  3. LEGARDA Helena, China Global Security Tracker January-June 2019, MERICS, 31 juillet 2019
  4. BONDAZ Antoine, Rassurer le monde et lutter contre le séparatisme, quelques éléments d’analyse du nouveau livre blanc sur la défense chinoise, Fondation pour la recherche stratégique, 24 juillet 2019
  5. ERICKSON Andrew, China’s Defense White Paper Means Only One Thing : Trouble Ahead, The National Interest, 29 juillet 2019