Londres. Trois ans et un mois après le référendum sur la sortie de l’Union européenne, les Brexiters ont désormais pris le pouvoir. La désignation, mercredi 24 juillet, de Boris Johnson à la place de Theresa May, son entrée à Downing Street et la composition de son cabinet où les politiciens les plus hostiles à l’Union européenne ont eu un traitement de choix, illustrent ce basculement de la politique britannique sur la ligne la plus radicale du parti conservateur. L’hypothèse d’une sortie sans accord, le 31 octobre prochain, est plus que jamais sérieuse. Le nouveau Premier ministre a clairement affirmé dans ses premiers discours qu’il y était prêt si l’Union européenne ne remet pas en cause le fameux backstop (censé éviter le retour d’une frontière dure entre les deux Irlande) contenu dans l’accord négocié par Theresa May. Une exigence à laquelle le négociateur européen Michel Barnier a immédiatement répondu qu’elle était irrecevable.

Ce lundi, c’est un Boris Johnson plus que jamais calqué sur la mythologie churchillienne (son idole dont il a écrit une biographie) qui a réuni son « cabinet de guerre » composé des purs et durs : Michael Gove (en charge de la préparation du no Deal), Sajid Javid (Chancelier de l’Échiquier), Dominic Raab (ministre des Affaires étrangères), Steve Barclay (Secrétaire d’État en charge du Brexit) et Geoffrey Cox (ministre de la Justice). C’est ce mini-cabinet qui va gérer le Brexit dans toutes ses dimensions, en remplacement du fonctionnement plus différencié (jugé chaotique par les Brexiters) qu’avait mis en place Theresa May.

Boris Johnson a demandé à Michael Gove de réunir quotidiennement les fonctionnaires concernés. M. Gove a pour sa part annoncé que serait bientôt lancée « la plus grande campagne d’information publique en temps de paix jamais lancée », de façon à ce que le monde des affaires et les citoyens « puissent se préparer en cas de no deal ».1. Depuis trois ans, le camp des Brexiters n’a cessé de cultiver les références historiques à la glorieuse histoire britannique comme puissance globale. L’opération commando mise en scène la semaine dernière par le nouveau Premier ministre s’inscrit dans cette stratégie de communication : évoquer la « grandeur » du Royaume-Uni et flatter l’amour propre d’une nation qui n’est jamais aussi forte que dans l’épreuve. Churchill docet !

Le problème pour Boris Johnson, c’est que la communication ne suffit pas à éliminer les obstacles que Theresa May avait rencontrés et qui risquent de se représenter rapidement sur son chemin. A commencer par la difficulté de trouver une majorité à Westminster. Le Parlement britannique est tellement divisé que « Bojo » aura presque plus de peine que May à faire passer un accord à la majorité. Selon Dr Robin Pettitt, chercheur en science politique à la Kingston University, le problème principal de Boris Johnson est que quel que soit l’accord conclu avec les 27, il sera probablement trop ‘Remain’ pour les Brexiters et trop ‘Leave’ pour les Remainers.2

Philip Hammond, le Chancelier de l’Échiquier sortant très proche des milieux d’affaires, qui a quitté le gouvernement la semaine passée, a entamé des discussions secrètes avec le Parti travailliste afin de bloquer un Brexit sans accord, rapporte l’Observer. Hammond, qui s’oppose depuis longtemps à une sortie désordonnée de l’Union, sans accord sur une transition visant à atténuer les effets de ce divorce, aurait rencontré Kier Starmer, haut responsable du Labour, peu de temps son départ du gouvernement. Hammond et Starmer, poursuit l’Observer, ont convenu de travailler avec des membres de la Chambre des communes, dont l’ancien ministre conservateur Oliver Letwin sur la meilleure façon d’utiliser la procédure parlementaire afin de couler une sortie sans accord. Selon de nombreuses analyses, une sortie sans accord pourrait causer une récession de longue haleine.3.

La question de l’unité du Royaume-Uni, menacée par une sortie sans accord, va également revenir sur le devant de la scène. La mainmise des Brexiters sur le gouvernement britannique ne peut que renforcer le sentiment national écossais. Plus sensible encore, le Premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a été le premier à réagir au discours de Boris Johnson après sa prise de fonction mercredi, affirmant que son objectif déclaré de renégocier d’ici au 31 octobre l’accord de Brexit conclu entre Theresa May et Bruxelles, était « totalement déconnecté du monde réel ». M. Varadkar a aussi estimé qu’un Brexit sans accord pourrait mener à une réunification de l’Irlande et mettre à mal le Royaume-Uni. « L’une des choses qui pourrait vraiment nuire (au Royaume-Uni), paradoxalement, c’est un Brexit dur, tant pour l’Irlande du Nord que pour l’Ecosse », a-t-il déclaré lors d’une université d’été dans le comté de Donegal.4

Enfin, la décision de Boris Johnson de choisir Dominic Cummings comme conseiller spécial a déconcerté de nombreux députés : elle est arrivée moins de quatre mois après que le Parlement a unanimement fait passer une motion, mise sur la table par le gouvernement, de censure car Cummings n’a pas témoigné lors de l’enquête sur les fake news. Il a – de plus – été l’un des visages de la campagne du groupe ‘Vote Leave’, qui a été accusée d’avoir enfreint la loi électorale.5

Perspectives  :

  • 1-15 août : Boris Johnson a été invité à se rendre à Berlin et à Paris par la Chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron.
  • 24-26 août : G7 à Biarritz où Boris Johnson devrait s’entretenir avec Donald Trump et Justin Trudeau des futures relations commerciales avec le Royaume-Uni.
  • 31 octobre : date limite pour une sortie ordonnée de l’Union européenne
Sources
  1. SHIPMAN Tim, Boris Johnson vows no‑deal Brexit ‘by any means necessary’, The Times, 28 juillet 2019
  2. PETTITT Robin, Will Boris Johnson be able to deliver Brexit, unite the country and defeat Corbyn ?, The UK in a changing Europe, 26 juillet 2019
  3. COLLOMP Florentin, Le spectre d’une longue récession en cas de Brexit sans accord, Le Figaro, 18 juillet 2019
  4. KELLY Fiach, NI will question union in event of no deal Brexit warns Varadkar, The Irish Times, July 26.
  5. CADWALLADR Carol, GRAHAM-HARRISON Emma, Boris Johnson’s key adviser must face sanctions, demand MPs, The Guardian, 28 juillet 2019