Ciudad de México. Le 9 juillet, Dr Carlos Urzúa a annoncé sur Twitter sa décision de démissionner de son poste de secrétaire aux Finances du gouvernement mexicain. En plus d’être un départ anticipé – le nouveau mandat a débuté il y a sept mois -, ce changement de cabinet a suscité un grand émoi, surtout en raison de la lettre, brève mais très percutante, dans laquelle l’économiste a expliqué à l’opinion publique pourquoi il démissionnait.

Dans les grandes lignes, Urzúa a donné trois raisons expliquant son départ. Selon lui, au sein de l’administration d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), les décisions concernant les politiques publiques ont été prises sans fondement, des fonctionnaires – insuffisamment préparés à exercer leurs fonctions – ont été imposés et certaines des personnalités influentes du gouvernement sont impliqués dans un « conflit d’intérêts patent »1.

Le président López Obrador a rapidement réagi2 en nommant Arturo Herrera, disciple d’Urzúa, et en envoyant un message dont il convient de souligner deux caractéristiques. D’une part, de l’avis du président, l’orientation néolibérale de l’ex-secrétaire contraste avec son projet économique, entraînant leurs désaccords et donc son retrait du cabinet. Comme Urzúa l’a lui-même déclaré dans une interview publiée quelques jours plus tard dans l’hebdomadaire Proceso, quiconque critique AMLO gagne cette qualification de sa part3. D’autre part, il a rappelé que les choses continueraient comme elles l’ont été jusqu’à présent, fermant tout espoir que la lettre d’Urzúa puisse amener une autocritique ou des amendements dans la dynamique interne de l’équipe de López Obrador. En d’autres termes, s’il est vrai que certaines décisions ont été prises à partir de philias et de phobies, avec inexpérience et peu de probité, il n’est pas dans l’esprit du président que cela soit revu et, éventuellement, corrigé.

Dans l’interview publiée dans Proceso, l’ancien secrétaire Urzúa ajoute des détails à ses propos, en donnant quelques noms et situations qui justifient la raison de son départ suite aux tensions vécues au sein d’un gouvernement avec des profils aussi divers que la « Quatrième Transformation » autoproclamée. En effet, parmi les nombreuses pistes d’analyse, ce cas qui semble une pure « intrigue de palais » illustre clairement les fissures qui se forment au sein d’une coalition hétérogène dont le succès électoral n’est pas nécessairement transposable au moment de gouvernement.

Comme c’est le cas dans d’autres pays d’Amérique latine, Andrés Manuel López Obrador a conquis l’électorat en s’appuyant sur une configuration qui semblait correspondre à des profils divers et, dans certains cas, opposés. Malgré cela, ils avaient tous le même but : gagner les élections. Carlos Urzúa, par exemple, a été décrit comme « l’homme le plus serein d’AMLO »4 et son profil a été fondamental pendant la campagne électorale pour que les marchés, les investisseurs et autres profils stratégiques ne voient pas en López Obrador le radical que ses opposants et, d’une certaine manière, lui même avaient dessiné pendant des années. Le vote de confiance que les agents économiques ont montré à ce gouvernement, dans une large mesure, a été semé par Urzúa et son équipe.

Durant la campagne, on peut parler à l’oreille à de nombreux secteurs avec une langue douce (et diverse), mais une fois installés dans leurs bureaux respectifs, modérés et radicaux, sociaux-démocrates (comme Urzúa lui-même s’autoproclame) et anti-néolibéraux, défenseurs à tout prix de AMLO et ceux qui sont en désaccord avec lui, ceux qui s’entourent d’experts et ceux qui voient en eux la quintessence de la technocratie, ceux qui viennent de la main du président dès ses premiers pas et ceux qui se sont embarqués dans le projet quand les chances étaient de son côté, tous ces profils coexistent au quotidien et, maintenant, l’objectif à atteindre est moins clair et encore moins commun.

Les coalitions et les collisions potentielles au sein du cabinet ne devraient pas être rares ou problématiques en soi, car la dissidence, la discussion et la multiplicité des visions devraient enrichir tout projet politique. Les citoyens s’attendent à ce que ceux qui prennent des décisions le fassent en évaluant de multiples scénarios et en confrontant des visions valables, et non de façon automatisée et irréfléchie. Le problème, cependant, semble être que ce qui devrait impliquer des discussions et des négociations finit par ouvrir sur des fissures coûteuses qui, à long terme, pourraient impliquer une paralysie autour de certains projets, la sortie de profils qui supposent des « perdants systématiques » (et avec elle, la perte de diversité), ou la radicalisation des modérés.

Perspectives :

  • Arturo Herrera, aujourd’hui secrétaire aux Finances, semble être dans la lignée d’Urzúa, ce qui rassure les marchés, mais prédit que les tensions exprimées par son prédécesseur occuperont une grande partie du temps du haut fonctionnaire qui, pour le moment, sait que le président ne semble pas disposé à faire de compromis.
  • D’autres malentendus dans d’autres secteurs du gouvernement pourraient commencer à se manifester et, avec eux, d’autres fissures qui pourraient être difficiles à gérer pour le président.
  • L’épisode ouvre une discussion plus profonde et à plus long terme au Mexique : le modèle économique du pays ne serait plus soutenable, et López Obrador et Urzúa semblent d’accord sur ce point. Ce vers quoi le Mexique devrait tendre et comment y parvenir est une question plus complexe qui transcende ces deux caractères.
Sources
  1. URZÚA, Carlos, Carta de renuncia, 9 juillet 2019.
  2. LÓPEZ OBRADOR Andrés Manuel, Nombramiento del nuevo Secretario de Hacienda, 9 juillet 2019.
  3. GÓMEZ BRUERA Hernán, “El conflicto de interés se llama Alfonso Romo” revela Carlos Urzúa al Proceso, Proceso, No. 2228, 14 juillet 2019.
  4. CATTAN Nacha, Urzúa : el hombre más sereno de AMLO, El Financiero, 17 janvier 2019.