Bruxelles. Le 4 juillet 2019, lors d’une réunion informelle du Conseil des ministres de la recherche de l’Union, le commissaire européen pour la Recherche, la Science et l’Innovation Carlos Moedas a annoncé les cinq grandes missions qui feront partie du futur programme de recherche européen, Horizon Europe. Ce programme structurant sert à piloter la recherche dans l’Union et est doté d’un budget en régulière augmentation, pour atteindre un total de 100 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Celles-ci sont ciblées vers les enjeux sociétaux structurants que sont le cancer, le changement climatique ou encore la pollution des océans. Parmi les personnalités en charge de piloter ces projets, on compte notamment des anciens commissaires européens, des ministres ou encore des universitaires de renom1.

En embrassant l’innovation par mission (mission-oriented innovation en anglais), l’Union innove dans sa façon de faire de la recherche. En effet, cette méthode se présente comme une rupture plus classique de la division des financements par laboratoire, et offre un cadre cohérent contrairement au financement par projet. Plus généralement, la recherche par mission fixe un objectif à long terme qui doit tirer le travail des laboratoires, agences nationales et entreprises du secteur privé dans une direction privilégiée.

Si la recherche par mission est déjà appliquée depuis longtemps dans des domaines comme le spatial (on peut penser au programme Apollo et son ambitieux objectif de mettre un homme sur la lune en moins d’une décennie) ou dans l’armement (avec des organismes structurants comme la DARPA aux États-Unis ou la DGA en France), organiser tout un programme de recherche académique autour de cette méthode est inédit. Cependant, son besoin s’est fait sentir de façon de plus en plus urgente, alors que les défis auxquels font face les sociétés développées deviennent de plus en plus complexes.

En effet, que l’on parle de changement climatique, d’urbanisme ou de santé, chacun de ces problèmes est « vicieux » (wicked) dans le sens où ils sont complexes, systémiques, interconnectés, urgents et faisant appel à des champs de compétence variés. Seule une approche transversale et faisant appel aussi à la société civile et au politique peut espérer les résoudre. Selon les termes de l’économiste Mariana Mazzucato : « On veut de l’initiative privée, on veut de l’expérimentation et de l’innovation, mais il faut néanmoins une direction générale. C’est ce que les missions permettent d’expliciter : que la croissance et l’innovation n’ont pas seulement un rythme mais aussi un sens. »2.

Cette approche de l’innovation, en se concentrant sur les objectifs à long-terme, a aussi l’avantage d’apporter un avantage compétitif à l’écosystème d’innovation européen. En effet, le vieux continent souffre d’un éclatement des ressources et des priorités le long des frontières nationales, ce qui réduit de fait l’ambition de ses recherches. En concentrant ainsi les efforts sur quelques sujets d’intérêt général, l’Europe peut aussi espérer peser de façon critique sur le développement de ces technologies au niveau international.

En conclusion, on peut souligner que cette approche de la politique de l’innovation en Europe est en grande partie le fruit de l’économiste Mariana Mazzucato et de sa collaboration avec la Commission européenne, aboutie dans le rapport Mission-Oriented Research and Innovation in the European Union3. Cette coopération met aussi en lumière le temps long et le travail derrière la structuration de programmes de recherche, mais aussi les avantages à faire rencontrer les sphères politiques et académiques dans l’élaboration de politiques publiques.