Londres. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et surtout depuis la fin de l’Empire britannique, les analystes ressortent régulièrement l’expression «  special relationship » pour qualifier le lien privilégié censé unir Londres et Washington. Un lien historique, forgé dans le combat face au nazisme ; un lien linguistique évident ; un lien stratégique illustré par la coopération très étroite qui demeure entre les services de renseignement de ces deux pays.

Chez les analystes britanniques, les fondements même de cette expression font débat, mais l’image revient régulièrement au fil des cycles politiques. Alors que le Royaume-Uni devrait connaître cette semaine le nom de son nouveau Premier ministre, suite au vote des militants du Parti conservateur pour désigner un successeur à Theresa May, l’expression est revenue sur le devant de la scène médiatique à la faveur du lien « très spécial » qui semble unir le président américain et le favori des sondages, l’ancien maire de Londres et ancien chef de la diplomatie, Boris Johnson.

Jeudi 15 juillet, le quotidien The Times1 affirmait que l’ancien ministre des Affaires étrangères serait prêt à voler immédiatement à Washington pour décrocher un accord commercial avec Donald Trump, afin de mieux jouer sa partie de bras de fer avec l’Union européenne avant le 31 octobre, nouvelle date limite fixée pour la sortie du Royaume-Uni. « La clef de tout ce sont les États-Unis », affirmait un proche de Johnson au quotidien londonien. « Si nous obtenons un accord commercial avec l’Amérique nous serons rapidement sur le marché pour d’autres accords et cela encouragera les autres à réaliser que nous entendons renforcer les échanges ».

Le 19 juillet, le président américain lui-même affirmait ouvertement son soutien à Boris Johnson, en déclarant « qu’il aimait Johnson et l’avait toujours aimé » et sa conviction « qu’il fera un excellent travail comme Premier ministre »2. Pour Donald Trump, fervent défenseur de « l’America First » et du Brexit, l’hypothèse d’une sortie du Royaume-Uni sans accord le 31 octobre irait dans le sens d’un affaiblissement de l’Union européenne qui ne serait pas pour déplaire au locataire de la Maison Blanche3.

Des deux côtés de l’Atlantique, deux personnages imprévisibles et sans beaucoup de rigueur avec les faits, seraient aux manettes. Dans un commentaire publié dans le Financial Times jeudi 18 juillet, Philip Stevens évoque une special relationship « bancale » et « déséquilibrée », face à un président américain particulièrement capricieux4. Pour Michael H. Fuchs, dans le Guardian, la relation spéciale UK-USA n’est pas rompue, elle entre juste dans une « nouvelle phase dangereuse »5 après le récent limogeage de l’ancien ambassadeur britannique à Washington pour ses propos sur le président américain, sur injonction de Donald Trump lui-même. Le New York Times évoque pour sa part une relation plus « grinçante » que « spéciale »6.

En outre, rien ne dit que Boris Johnson, malgré le ton bravache avec lequel il annonce une sortie sans accord, obtiendra une majorité au Parlement pour une telle secousse pour l’économie britannique. Boris Johnson a déclaré qu’il n’excluait pas de suspendre le Parlement britannique pour l’empêcher de bloquer cette sortie de l’Union. Or, jeudi 18 juillet, les députés britanniques ont voté jeudi un texte rendant plus difficile pour le gouvernement de faire passer en force un Brexit sans accord en suspendant le Parlement. Le texte voté jeudi par les députés prévoit que le Parlement, au cas où ses travaux seraient suspendus, devra de toute manière être rappelé pour une session de plusieurs jours en septembre et octobre. La résolution a recueilli 315 voix pour et 274 contre. Selon la BBC, plusieurs ministres opposés à un Brexit sans accord étaient prêts à mettre leur démission dans la balance afin de faire adopter ce texte.

De son côté, le Chancelier de l’Échiquier, Philipp Hammond, a mis son portefeuille dans la balance en affirmant sur la BBC : « en supposant que Boris Johnson devienne le prochain Premier ministre, je comprends que ses conditions pour servir dans son gouvernement incluraient l’acceptation d’une sortie sans accord le 31 octobre, et ce n’est pas quelque chose à laquelle je pourrais jamais adhérer ». M. Hammond a d’ailleurs souligné qu’il démissionnerait avant même qu’on lui demande de faire ses valises, ou que ses fonctions s’arrêtent de facto avec la fin du gouvernement de Theresa May. « Je suis sûr que je ne vais pas être renvoyé parce que je vais démissionner avant qu’on n’en arrive là », a-t-il dit.

Boris Johnson, 55 ans, est opposé dans cette course au pouvoir à Jeremy Hunt, 52 ans, son successeur à la tête de la diplomatie britannique. C’est aux 160 000 membres du Parti conservateur qu’il revient de départager les deux hommes. Les votes seront clos lundi avant l’annonce des résultats mardi matin.

Perspectives :

  • Mardi 23 juillet : désignation du successeur de Theresa May par le Parti conservateur
  • Jeudi 31 octobre : date fixée pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne
Sources
  1. SWINFORD Steven, Boris Johnson to seek Trump trade deal in first move as leader, The Times, 15 juillet 2019
  2. Donald Trump : Boris Johnson ‘will do a great job as PM‘, BBC, 19 juillet 2019
  3. SMITH David, SAVAGE Michael, The week Trump said jump – and Johnson asked ‘How high ?’, The Guardian, 14 juillet 2019
  4. STEPHENS Philip, Boris Johnson, Donald Trump and a lopsided special relationship, Financial Times, 18 juillet 2019
  5. FUCHS Michael H., The US-UK ‘special relationship’ isn’t broken – it’s just entering a dangerous new phase, The Guardian, 11 juillet 2019
  6. ERLANGER Steven, CASTLE Stephen, U.S.-British Relationship Sounding More Testy Than ‘Special’, The New York Times, 9 juillet 2019