Tripoli. Dans la nuit du 3 juillet, il y a eu une violente attaque aérienne contre le centre de détention de Tajoura, dans la banlieue de Tripoli. La structure abritait au moins 700 migrants. L’OIM compte au moins 44 victimes civiles1. Selon les services de renseignements, la véritable cible était une caserne à proximité. Les opérateurs humanitaires décrivent un grave massacre de civils dans une zone théoriquement contrôlée par le gouvernement tripolitain d’Al-Sarraj. L’ONU elle-même s’est mobilisée lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité au cours de laquelle les ambiguïtés de nombreux pays ont été révélées. Parmi eux, les Émirats arabes unis offrent le soutien militaire le plus important à Haftar. À la suite de l’attaque, les États-Unis, par l’intermédiaire de représentants de la démocratie, ont menacé d’arrêter une partie des programmes de coopération en matière de défense, en particulier pour la vente d’armes, afin de créer un équilibre de plus en plus improbable dans le pays2.

Pour les États-Unis, la Libye ne représente pas un scénario stratégique principal. La ligne onusienne n’est maintenue qu’en théorie, mais les programmes de décentralisation de l’État, typiques des États-Unis dans les zones de crise, ont affaibli toute tentative d’union territoriale. À cela, il faut ajouter l’ambiguïté désormais chronique de l’administration Trump dans la région MENA, en raison des relations et des différences d’intérêts entre la politique élue et l’État profond de Washington. A cela, il faut ajouter le contraste entre la ligne officielle du Pentagone et le département d’Etat et celle de personnalités telles que John Bolton, conseiller de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, très proche de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Le mauvais équilibre a empêché une ligne militaire claire en Libye. La menace de suspendre les programmes de coopération en matière d’armement avec Abou Dhabi a été suivie d’un veto contre une résolution condamnant l’attaque de Tajoura, sans pour autant pouvoir clarifier ce qui s’est passé.3

Abou Dhabi est le plus grand partisan de Khalifa Haftar pour deux raisons : « la lutte contre le terrorisme » et l’opposition historique au centralisme de Tripoli. En plus de cela, nous devons considérer la juxtaposition Qatar-Turquie, une priorité de sécurité pour les EAU. Il y a donc de nombreuses raisons pour lesquelles le prince héritier émirati, Mohammed Ben Zayed, a décidé de projeter son pays sur le scénario libyen. Abu Dhabi, et non Riyad, définit le plus important soutien militaire et diplomatique de la Cyrénaïque et du gouvernement de Tobrouk4. La vente d’armes américaines aux Emirats, déjà au centre de la controverse pour le Yémen, est devenue un objet de critique et de débat, risquant de faire éclater une véritable affaire diplomatique avec les faits de Tajoura et l’avancée de Haftar vers Tripoli. Abu Dhabi a rejeté toutes les accusations, lançant un appel pour une enquête de l’ONU et un cessez-le-feu immédiat. Certains hauts responsables du gouvernement de Tobrouk ont, au contraire, admis l’utilisation d’armes américaines obtenues grâce à la médiation de l’émiratine. La menace, pour le moment très stérile, de la part de certains sénateurs du parti démocrate (notamment le vice-président de la Commission des affaires étrangères du Sénat, Robert Menendez) pourrait ouvrir la voie à un débat qui n’a jamais été complètement endormi, mais qui n’a jamais suscité l’attention des médias, notamment en vue des élections américaines de 2020.

Perspectives :

  • Le choeur de condamnation contre l’attaque de Tajoura est unanime. La Turquie a qualifié Haftar de « criminel » par Erdogan, affirmant la nécessité d’un soutien total au gouvernement tripolitain d’Al-Sarraj. D’Italie, Matteo Salvini a lancé un appel aux acteurs internationaux pour obtenir un large soutien en faveur d’une solution militaire contre la Cyrénaïque. Le gouvernement italien a à plusieurs reprises lancé des critiques et des condamnations à l’encontre de Tobrouk, apparemment davantage pour un attentat contre Paris, partisan politique de Haftar, que pour maintenir une ligne de sécurité claire en Libye (l’Italie soutient de facto la ligne ONU).