Lampedusa. Pour la troisième fois depuis le début de l’année 2019, le navire Sea-Watch 3, battant pavillon néerlandais, affrété par l’ONG allemande Sea-Watch est resté bloqué en mer, empêché de débarquer ses passagers sur les côtes italiennes. Le 12 juin 2019 le bateau a secouru 53 personnes se trouvant à bord d’une embarcation pneumatique, dans les eaux internationales en zone SAR (Search and Rescue) libyenne.

Aucun état européen n’a souhaité faire débarquer le Sea-Watch 3, le navire est alors resté stationné en mer durant 15 jours, à 16 milles de Lampedusa, dans l’attente d’un lieu sûr où accoster. Malgré l’accord des autorités libyennes, le Sea-Watch 3 a refusé de faire route vers Tripoli, estimant qu’il ne s’agissait pas d’un lieu sûr au regard de la Convention d’Hambourg1.

Le 14 juin, un décret sécurité du ministère de l’intérieur italien est entré en vigueur, prohibant le transit ou le stationnement dans les eaux territoriales italiennes des navires affrétés par des ONG. Par voie de référé, le Sea-Watch 3 a demandé la suspension dudit décret mais cette demande a été rejetée. Afin de permettre le débarquement de ses passagers, la capitaine du bateau ainsi que les personnes secourues à son bord, ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour, lequel permet à la juridiction de demander à un état d’adopter des mesures urgente en prévention de violations graves et irrémédiables des droits de l’homme, et d’indiquer en conséquence des mesures provisoires. Les requérants demandent à la Cour de prononcer le débarquement du Sea-Watch 3 sur les côtes italiennes. Leur demande est fondée sur la violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture, à des peines ou traitements inhumains ou dégradants) de la Convention.

Le 15 juin 2019, soit trois jours après avoir été secourus, 11 des 53 personnes à bord ont été débarquées compte tenu de leur particulière vulnérabilité, eu égard à leur état de santé.

Au terme d’une série de questions posées par la Cour à la partie demanderesse ainsi qu’au gouvernement italien, la juridiction réunie en formation de chambre a décidé, le 25 juin 20192, de ne pas faire droit à la demande de mesure provisoire demandant le débarquement du Sea-Watch 3 en Italie.

Si la Cour a refusé la demande de mesure provisoire, elle a indiqué au gouvernement italien qu’elle comptait sur les autorités du pays pour continuer de fournir toute assistance nécessaire aux personnes qui se trouveraient sur le navire en situation de vulnérabilité du fait de leur âge ou de leurs conditions de santé. Une décision similaire avait été prise en janvier 2019, alors que le même bateau se trouvait amarré au large de Syracuse avec 47 personnes secourues en mer à son bord, il n’a pas été autorisé à rentrer dans le port. La Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie sur le fondement de l’article 39, et avait décidé d’indiquer une mesure provisoire, mais pas celle escomptée par les demandeurs. En effet, la Cour n’avait pas fait droit à la demande de débarquement des requérants mais avait demandé au gouvernement italien « de prendre toutes les mesures nécessaires, dès que possible pour fournir à tous les requérants les soins médicaux, la nourriture l’eau et les produits de première nécessité »3.

Le 25 juin, après 13 jours de bras de fer avec les autorité italiennes, la capitaine Carola Rakete menace d’accoster à Lampedusa. Le lendemain mercredi 26 juin, c’est chose faite, la capitaine du bateau décide d’entrer dans les eaux territoriales italiennes et de faire débarquer ses passagers, « pas par provocation, mais par nécessité, par responsabilité »4.

Une fois débarquée, la capitaine a fait l’objet d’une enquête pour aide à l’immigration illégale et entrée illégale dans les eaux territoriales italiennes. Le mardi 2 juillet, la juge italienne en charge de l’enquête s’est prononcée en faveur de la libération de la capitaine, au motif que le décret italien fondant l’une des accusations n’était pas applicable aux actions de sauvetage.

Perspectives :

  • Le 27 mars 19, le Conseil européen a décidé de prolonger l’opération Sophia jusqu’au 30 septembre 19, mais l’a privé de moyens navals d’opération, le règlement par les États européens du secours en mer est dans l’impasse.
  • En l’absence de négociation européenne sur le secours en mer, tout porte à croire que cette « affaire Sea-Watch », la troisième depuis le début de l’année 2019, ne sera pas la dernière, comme le témoigne le cas, dans les dernières heures, du navire Mediterranea5.
  • La Cour européenne des droits de l’homme s’écartera-t-elle de sa ligne ou se gardera-t-elle de forcer le débarquement sur les côtes italiennes ?
Sources
  1. Chapitre 1.2.3 Convention Internationale sur la Recherche et le sauvetage maritime, « Search and Rescue » (SAR), 1985
  2. Communiqué de presse, CEDH 043(2019)La Cour décide de ne pas appliquer la mesure provisoire demandant le débarquement en Italie des personnes se trouvant sur le navire Sea Watch 3, 25 juin 2019
  3. Communiqué de presse, CEDH 240(2019) La CEDH indique une mesure provisoire dans l’affaire du navire Sea-Watch 3, 30 janvier 2019
  4. Propos tenus par la Carola Rakete, capitaine du Sea-Watch, dans une vidéo postée sur son compte Twitter le 26 juin 2019
  5. Migranti, Mediterranea : « Tutti salvi i 54 naufraghi al largo della Tunisia, ora serve un porto sicuro », La Stampa, 4 juillet 2019