Pékin. Dominé par la China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC) et la China State Shipbuilding Corporation Limited (CSSC), le secteur maritime et naval chinois pourrait connaître dans les années à venir une révolution conséquente, ces deux conglomérats ayant annoncé une fusion prochaine. Si celle-ci devait recevoir le feu vert des autorités, elle déboucherait sur la naissance d’un véritable monstre marin. Cette annonce mérite néanmoins d’être contextualisée, une telle fusion présentant des conséquences à la fois nationales et internationales.1

La CSIC et la CSSC dominent aujourd’hui le secteur maritime et naval chinois, au sein duquel elles proposent à la fois des produits civils et militaires. Comme en reflet de la montée en puissance de la Marine de l’Armée Populaire de Libération (ou Zhōngguó Rénmín Jiěfàngjūn Hǎijūn), ces deux conglomérats possèdent aujourd’hui une maîtrise technologique indiscutable qu’illustre la qualité des bâtiments qu’ils proposent, des SNLE de classe Jin aux impressionnants croiseurs Renhain, considérés comme la Chine comme des destroyers malgré une jauge de 12 500 tonnes et un emport en armements conséquent, en passant par les corvettes Jiangdao qui équipent, au-delà de la seule marine chinoise, celles du Nigéria et du Bangladesh. Au-delà d’une position dominante sur le marché domestique chinois, ces deux groupes tireraient donc d’une éventuelle fusion un bénéfice certain en termes d’accès à l’export, en concurrence directe avec leurs rivaux internationaux, états-uniens et européens, dans le sillage de la montée en puissance de la marine chinoise2.

La question de l’éventuelle consolidation du secteur naval ne se pose pas qu’en Chine : en France, elle est aussi étudiée et semble pour le moment susciter un sentiment négatif, de possibles fusions signifiant surtout pour la ministre Florence Parly une concurrence amoindrie et des prix moins intéressants pour le Ministère des Armées et la Marine Nationale3. En ce sens, il est important de souligner que la CSSC et la CSIC n’existent sous cette forme que depuis 1999 : avant cette date, elles appartenaient toutes deux à la China State Shipbuilding Corporation, une situation à laquelle l’Etat chinois avait mis fin pour encourager la concurrence domestique dans le secteur maritime et naval. Ainsi, si la fusion annoncée devait se produire, elle pourrait s’accompagner d’externalités négatives pour Pékin, en échange d’un accès facilité aux marchés extérieurs, notamment en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud4.

La perspective d’un renforcement des acteurs chinois du naval inquiète, particulièrement en Europe et en Asie, les Etats-Unis pouvant à court et moyen-terme compter sur le seul volume de leurs commandes domestiques pour garantir à leurs chantiers-navals des débouchés suffisants. Dans ce contexte, le timide rapprochement entre le français Naval Group et l’italien Fincantieri, censé déboucher sur la naissance d’un « Airbus du naval »5 peut être perçu comme une tentative de consolider le secteur naval européen6 malgré des rivalités importantes et contre-productrices7. Au-delà de ces entreprises, les constructeurs navals coréens et japonais auraient eux aussi des raisons de craindre une fusion effective de la CSSC et de la CSIC, le sud-coréen Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) étant particulièrement décidé à se développer à l’international.

Perspectives :

  • En Chine, le naval est au cœur d’une stratégie industrielle et d’une politique ambitieuse : le volontarisme chinois dans le domaine de la production industrielle militaire vise à assurer la conquête progressive d’une autonomie stratégique totale. Au-delà de ce seul objectif, la Chine entretient pourtant des ambitions supérieures, à travers la conquête de marchés extérieurs via le développement de systèmes performants et abordables, le volume de la consommation domestique assurant, in fine, le caractère compétitif des offres chinoises à l’international.
  • L’accès aux marchés extérieurs demeurent un impératif stratégique pour les constructeurs navals français et européens : le volume relativement faible des commandes domestiques françaises et européennes n’offrent aujourd’hui que des marges très relatives aux constructeurs navals pour qui l’accès aux marchés extérieurs, plus qu’une possibilité, demeure une nécessité opérationnelle de premier plan.
Sources
  1. La Chine veut fusionner ses deux plus grands groupes de construction navale, 1 juillet 2019, L’Usine Nouvelle
  2. SANDRIN Pierre, La Chine, nouvelle puissance maritime, Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement, 2 janvier 2019
  3. CABIROL Michel, Chantiers navals militaires : faut-il les fusionner ?, 23 avril 2019, La Tribune
  4. SCHAEFFER Frédéric, En Chine, les géants du naval voguent à plein régime, 18 octobre 2018, Les Echos
  5. GROIZELEAU Vincent, Contre vents et marées, Naval Group et Fincantieri scellent leur union, 18 juin 2019, Mer et Marine
  6. MEDDAH Hassan, Top départ pour l’Airbus du Naval, 20 juin 2019, l’Usine Nouvelle
  7. CABIROL Michel, Incroyable, Fincantieri veut torpiller son partenaire Naval Group en Roumanie, 24 juin 2019, La Tribune