Addis Abeba. Dans la nuit du 22 au 23 juin 2019 une tentative de coup d’État a entraîné l’assassinat d’Ambachew Mekonnen, gouverneur de la province d’Amhara, et de Seare Mekonnen, chef d’état-majeur de l’armée éthiopienne1. Les épicentres de la révolte sont Addis-Abeba et Bahir Dar, capitale de la province d’Amhara. L’annonce a été faite à la télévision par le Premier ministre Abiy Ahmed en uniforme militaire, dans une tentative symbolique de rétablir l’ordre. Les purges qui ont suivi ont touché un haut général, le principal suspect, rapidement exécuté2. La tentative de coup d’État, apparemment organisée par une faction minoritaire des forces de sécurité de la province d’Amhara, pose à nouveau un problème cyclique à l’Ethiopie, celui des relations entre minorités et les tentatives de centralisation de l’État3. La politique étrangère d’Addis Abeba conciliatrice avec l’Érythrée et une politique orientée vers la réconciliation intra-étatique ont joué un rôle fondamental dans le mécontentement.

L’Éthiopie a toujours débattu de la place de ses minorités. La démographie et les taux de croissance des communautés sont avant tout un outil politique pour faire pression sur le pouvoir. Déjà avec Yekuno Amlak, le premier représentant de la dynastie Salomonide, il était difficile de réunir toutes les ethnies sous le joug impérial. Avec les réformes et les travaux d’expansion de Ménélik au XIXe siècle, la domination des Amharas, peuple du centre-nord, fut affirmée. La chute de Mengistu et la fondation de l’Éthiopie moderne en 1991 ont confirmé cette tendance. Meles Zenawi, ancien président éthiopien, a qualifié les Amharas de “nationalité” comme toutes les autres, mais la prédominance de la langue et de la culture amhara dans les structures de prise de décision suggère une approche totalement différente4. Abiy Ahmed, un Oromo, promoteur d’une politique de conciliation au sein de l’État, a toujours eu du mal à trouver un soutien clair dans les forces armées, et la tentative de coup d’État, bien que stérile et immédiatement neutralisée, en est un excellent exemple. En effet, l’armée éthiopienne a toujours été le principal symbole d’un malaise envers la décentralisation de l’État, surtout si elle tend à limiter l’hégémonie des Amhara. Les forces armées pourraient potentiellement trouver un soutien ou bien dans le mécontentement des parties de la population qui luttent pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par la croissance économique exponentielle du pays, ou bien dans cette partie de la société civile née et élevée dans la rivalité à l’Érythrée, qu’Ahmed entend réduire.

Abiy Ahmed, un Oromo, promoteur d’une politique de conciliation au sein de l’État, a toujours eu du mal à trouver un soutien clair dans les forces armées, et la tentative de coup d’État, bien que stérile et immédiatement neutralisée, en est un excellent exemple. En effet, l’armée éthiopienne a toujours été le principal symbole d’un malaise envers la décentralisation de l’État, surtout si elle tend à limiter l’hégémonie des Amhara. Les forces armées pourraient potentiellement trouver un soutien ou bien dans le mécontentement des parties de la population qui luttent pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par la croissance économique exponentielle du pays, ou bien dans cette partie de la société civile née et élevée dans la rivalité à l’Érythrée, qu’Ahmed entend réduire5.

Après la Seconde guerre mondiale, l’empereur d’Éthiopie, Hailé Sélassié, avait senti le besoin d’une forme de décentralisation douce. Cependant, le problème de la féodalité persistante a rendu toute tentative fédéraliste stérile. Au début des années 1960, en pleine décolonisation et avec la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA-1962), Haile Selassie a révoqué le régime de déréglementation, provoquant à la fois le déclenchement d’affrontements latents avec l’Érythrée (à l’époque une province éthiopienne) et un grave malaise au sein des sections de l’armée qui se sont plaintes de l’inactivité constante des institutions de l’État, préférant les réseaux personnalistes de l’empereur6. La tentative de coup d’État de 1960, tirant parti d’une visite d’Etat de Sélassié au Brésil, était l’épilogue prévisible. Les faits des années 1960 ne prennent pas racine, mais représentent un prodrome pour les troubles qui ont conduit à la montée de Mengistu en 1974.

Le parallélisme entre ce fait et la tentative du 22 juin n’est pas tout à fait valable, même si des malaises communs subsistent, tant au sein de l’armée que de la société civile, dans un moment de réforme de l’État qui prélude à un plan de réconciliation. Contrairement à Hailé Sélassié, Abiy Ahmed ne base pas son pouvoir sur un féodalisme omniprésent, mais il doit toutefois prêter attention aux pressions conservatrices de ceux qui vivent la réconciliation au sein de l’État comme un affront et non comme une opportunité. À long terme, comme pour Sélassié, la stabilité institutionnelle de l’une des économies enregistrant le taux de croissance du PIB le plus élevé au monde pourrait poser de graves problèmes.

Perspectives :

  • 2020 : élections législatives. La principale confrontation devrait avoir lieu entre le parti de Abiy Ahmed et un mouvement représentant les communautés somalo-éthiopiennes de l’Ogaden, un autre voix décisive dans la politique éthiopienne, notamment en ce qui concerne la stabilité des réformes institutionnelles d’Ahmed.
Sources
  1. Chief of Staff of Ethiopia’s army, head of Amhara state killed in coup attempt, MENAFN, 24 juin 2019.
  2. Suspected mastermind of Ethiopia coup attempt shot dead, says official, The Guardian, 24 juin 2019.
  3. PAUSEWANG Siegfried, Political conflicts in Ethiopia- in View of the Two faced Amhara identity, Proceedings of the 16th International Conference of Ethiopian Studies, 2009.
  4. PAUSEWANG Siegfried, Political conflicts in Ethiopia- in View of the Two faced Amhara identity, Proceedings of the 16th International Conference of Ethiopian Studies, 2009.
  5. Chief of Staff of Ethiopia’s army, head of Amhara state killed in coup attempt, MENAFN, 24 juin 2019.
  6. CLAPHAM Christopher, The Ethiopian coup d’Etat of December 1960, The Journal of Modern African Studies, 6/4, 1968.