Khartoum. Le 11 avril 2019, l’annonce a été faite par le général Awad Ibn Auf ministre de la défense à la télévision nationale soudanaise de la destitution à la tête de l’Etat du colonel Omar el Béchir au pouvoir pendant vingt-neuf ans neuf mois et douze jours et la création d’un conseil militaire de transition (CMT) en charge de conduire la destinée du pays pendant la période de transition fixée à deux ans.

Après quatre mois de contestation populaire dans les différentes villes du pays, notamment dans la capitale Khartoum, ayant abouti au départ à la tête de l’Etat du colonel Omar el Béchir et à son incarcération le 16 avril 2019 dans la prison centrale de Kober à Khartoum, force est de constater que la période de transition s’enlise. Instituée par le Conseil Militaire de Transition (CMT) composé intégralement de militaires plus ou moins proches de l’ancien Chef d’Etat destitué, la crainte de l’opposition civile soudanaise hétérogène et dynamique d’un éventuel maintien au pouvoir de militaires devient plausible au regard des rebondissements qui se sont succédé depuis la destitution d’Omar el Béchir.1.

Quelques éléments de réponses et d’éclaircissements doivent être apportés.

Pour rappel, le Soudan est un Etat d’Afrique à mi-chemin entre la partie orientale et septentrionale qui couvre une superficie de 1.886.068 Km2 (troisième État le plus grand d’Afrique), avec un taux d’alphabétisation estimé à 75,90 %, pour une population estimée à environ 41.425.412 millions d’habitants, son Indice de Développement Humain (IDH) est 0,502 (205/228 États).

A partir de décembre 2018, l’Association des Professionnels Soudanais (APS), mouvement syndical et de protestation contre le régime d’Omar el Béchir créé en 2012 dans le but de faire bloc aux différentes manœuvres du régime qui est parvenu à corrompre la quasi-totalité des structures syndicales du pays, lance un mouvement de contestation dans l’extrême Nord du pays, Atbara, région ouvrière réputée comme étant le Quartier Général du syndicalisme soudanais.2

Il a donc fallu quatre mois de contestation populaire dans l’ensemble du pays pour que le régime d’Omar el Béchir s’effondre comme un château de sable face à l’Harmattan soudanais.

Si l’espoir était permis après l’annonce faite par le ministre de la défense de la destitution d’Omar el Béchir, l’opposition civile soudanaise demeure toutefois vigilante et intransigeante face à l’attitude du Conseil Militaire Soudanais (CMT) dans les différents pourparlers et négociations pour le transfert du pouvoir militaire au Civil. En effet, le 20 mai 2019 les négociations entre l’opposition civile soudanaise et l’armée sur les modalités de gestion de la période de transition.

Le drame du 3 juin 2019 lors du sit-in de l’opposition civile soudanaise devant le siège de l’armée restera sans doute dans les mémoires. Selon les informations concordantes des organisations de médecins soudanais, de l’Organisation mondiale de la Santé et des médias locaux et internationaux qui ont couvert le sit-in et les jours qui ont suivi, le nombre de pertes en vies humaines lors de la répression sanglante par l’armée est estimé à cent-treize morts et des centaines de blessés.3 En cause, la composition et les pouvoirs de l’organe exécutif appelé le Conseil Souverain pendant la transition.

Enfin, pour mieux comprendre en quoi l’enlisement de la période de transition au Soudan est une réalité, voici une frise chronologique des différents événements et actes qui ont eu lieu depuis le mouvement de contestation populaire à nos jours :

  • Décembre 2018 : Mouvement de contestation populaire initié par le mouvement syndical l’Association des Professionnels Soudanais (APS) dans le Nord du pays pour de meilleures conditions de vie.
  • 6 avril 2019 Organisation de la première journée de sit-in devant le siège de l’armée dans la capitale Khartoum.
  • 11 avril 2019 : Annonce à la télévision nationale soudanaise de la destitution à la tête de l’Etat soudanais du colonel Omar el Béchir au pouvoir depuis 1989 par le ministre de la défense général Awad Ibn Awf ainsi que la création d’un Conseil militaire de transition : Organe de transition.
  • 11 avril 2019 : Le ministre de la défense Awad Ibn Auf, porté à la tête du Conseil Militaire de Transition pour deux ans. Le Chef d’état-major de l’armée Kamal Abdelmarauf nommé adjoint du Conseil Militaire de Transition.
  • 12 avril 2019 : Refus de transférer Omar el Béchir à la Cour Pénale Internationale.
  • 12 Avril 2019 : Démission du ministre de la défense Awad Ibn Awf à la tête du Conseil Militaire de Transition (CMT) remplacé par le général de corps d’armée Abdel Fattah al Burhane Abderrahmane.
  • 13 avril 2019 : le général Awad Ibn Auf nomme dans un discours télévisé le général de corps d’armée Abdel Fattah- al-Burhan à la tête du Conseil Militaire de Transition, le numéro 2 du Conseil de Transition Militaire est Héméti chef des parachutistes des Forces de Soutien (FRS) qui a réprimé le sit-in du 3 juin 2019.
  • 13 avril 2019 : Après la nomination du général de corps Abdel Fattah al Burhane à la tête du Conseil Militaire de Transition, annonce de la démission du patron du puissant service de renseignement soudanais NISS du nom de Salah Gosh, ainsi que le cessez-le-feu à travers le pays notamment au Darfour et la libération des manifestants arrêtés ces dernières semaines.
  • 16 Avril 2019 : Transfert d’Omar el Béchir dans la prison de Kober à Khartoum. Cette prison centrale a abrité et abrite encore des milliers de prisonniers politiques.
  • 16 avril 2019 : Soutien clair et net du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Conseil Militaire de Transition.
  • 21 avril 2019 : Annonce faite par le chef de Conseil Militaire de Transition général de corps d’armée Abdel Fattah al Burhane de saisie d’argent réalisée au domicile d’Omar el Béchir par des membres de la police, de l’armée et des agents de sécurité pour des sommes avoisinant 100 millions d’euros.
  • 25 avril 2019 : l’opposition civile soudanaise lance le slogan « la manifestation du million » dans le but de mettre la pression sur le Conseil Militaire de Transition suite à la suspension des négociations du 20 avril.
  • 29 avril 2019 : Marche des leaders soufis dans la capitale Khartoum en soutien à l’opposition civile soudanaise.
  • 5 mai 2019 : Manifestation de la diaspora soudanaise à Paris.
  • 13 mai 2019 : Inculpation par le procureur Général Soudanais de « meurtre de manifestants » d’Omar el Béchir pendant toute la période de contestation contre son régime.
  • 15 mai 2019 : Annonce par les militaires soudanais du Conseil Militaire de Transition (CMT) d’un accord avec l’Alliance de l’Opposition civile pour une période de trois (3) ans ainsi que la création d’un Conseil Législatif (Organe législatif) dont l’opposition civile disposerait des 2/3 des sièges. Désaccord sur la mise en œuvre du Conseil Souverain (Organe Exécutif).
  • 20 mai 2019 : Échec des négociations entre le Conseil Militaire de Transition (CMT) et l’opposition civile soudanaise sur les modalités de gestion de la période de transition.
  • 21 mai 2019 : Communiqué tripartite des Etats-Unis d’Amérique, de la Grande-Bretagne et de la Norvège pour la conclusion d’un accord politique entre les deux protagonistes.
  • 28-29 mai 2019 : Mouvement de grève générale nationale à l’appel de la coalition civile afin de mettre la pression sur les militaires.
  • 31 mai 2019 : Manifestation de soutien à Khartoum aux putschistes scandant « un pouvoir militaire 100 % ».
  • 1 juin 2019 : Le Conseil Militaire de Transition (CMT) lance des opérations d’intimidation contre la presse locale avec arrestation des employés et saisie du matériel de travail. Prélude au massacre du 3 juin 2019.
  • 2 juin 2019 : altercation entre membres de l’armée et contestataires ayant fait trois morts.
  • 3 Juin 2019 : le général de corps d’armée Abdel Fattah al Burhan suite à la répression sanglante du sit-in de l’opposition civile annonce l’annulation des accords précédents conclus avec l’opposition civile soudanaise et la tenue d’élections les neuf mois à venir.
  • 3 juin 2019 : Dispersion par les forces de sécurité du sit-in de l’opposition civile soudanaise devant le Quartier Général de l’armée à Khartoum avec des pertes en vies humaines sur place de trente morts et des centaines de blessés.
  • 4 juin 2019 : Réunion en urgence à huis clos du Conseil de Sécurité des Nations Unies à la demande de l’Allemagne et du Royaume-Uni sur la situation actuelle du Soudan.
  • 5 juin 2019 : Revue à la hausse des pertes en vies humaines : au moins une soixantaine de morts depuis la dispersion rassemblement du 3 juin.
  • 5 juin 2019 : A l’occasion de la fin de Ramadan, le général de corps d’armée et chef du Conseil Militaire de Transition appelle à la reprise des négociations avec effet immédiat.
  • 6 juin 2019 : le Soudan suspendu par l’Union africaine avec effet immédiat de l’organisation continentale jusqu’à la création d’une autorité civile de transition.
  • 7 juin 2019 : Abiy Ahmed, premier ministre éthiopien, se rend à Khartoum dans le but d’établir un processus de médiation entre l’armée et l’opposition civile soudanaise.
  • 8 juin 2019 : Arrestation des membres de l’opposition au Soudan par l’armée.

Perspectives :

  • Reprise des négociations à zéro avec d’autres mouvements illégitimes.
  • Risque de continuité du pouvoir militaire au détriment de l’opposition civile soudanais.