Khartoum. Le renversement de l’ancien président soudanais Omar el-Bechir annoncé par le ministre de la défense Awad Benouf, le 11 avril 2019, a abouti à une période de transition de deux ans dirigée par l’état-major1 dans un contexte marqué par une rivalité  géopolitique entre les forces politiques pour reclasser les anciennes élites.

La vie politique soudanaise se caractérise par la présence d’une alliance d’opposition appelée « les forces de liberté et de changement », fondée en décembre 2018. Cette alliance se compose de trois forces principales séculaires qui positionnent à la fois contre les islamistes et  contre le poids de l’armée dans la vie politique. Cette alliance se mobilise actuellement au Soudan afin de faire pression sur l’état-major pour prolonger la période de transition de quatre ans. Une revendication qui a pour objectif de permettre aux forces politiques de pouvoir se préparer pour les élections car, selon eux, la période de transition déclarée par le ministre de la Défense ne permettra pas à de nouvelles forces politiques d’émerger, laissant le pouvoir aux factions présentes pendant le régime d’el-Bechir, qui sont principalement des islamistes. L’opposition demande de plus à l’état-major de donner le pouvoir à un conseil composé de 15 membres dont 8 civiles et 7 militaires. Celui-ci aurait pour objectif de garantir la période de transition et pourrait former un gouvernement2.

L’alliance des « forces de liberté et de changement » se trouve confrontée aux mouvements islamistes qui se mobilisent contre les revendications des manifestants. Les mouvements salafistes avaient l’intention d’organiser une manifestation en faveur de « l’application de la charia » le 29 avril, qui a finalement été interdite par les autorités. Cette contre-mobilisation salafiste vise à éliminer « les forces de liberté et de changements », dont l’existence est très ancienne3. De plus, les Frères Musulmans se mobilisent pour pousser l’état-major à garantir leur existence suite au renversement d’Omar el-Bechir4.

Les Frères Musulmans agissent à plusieurs échelles pour éviter l’interdiction de leurs activités, qui est revendiquée par les « forces de liberté et de changement ». L’organisation se déresponsabilise de la période d’el-Bechir en se présentant comme force politique détachée du président renversé. Le mouvement islamiste soutient les décisions prises par l’état-major concernant la durée de la période de transition5, car celle-ci leur permettra de se présenter en position de force à des élections pour lesquelles les autres forces politique ne seront pas préparées. De plus, les Frères Musulmans se positionnent contre les forces civiles en se mobilisant en faveur du maintien de la constitution de 2005 basée sur la charia. Une telle mobilisation vise l’exclusion politique du parti communiste, actuellement le principal rival des Frères Musulmans.

Il est essentiel de souligner la conflictualité régionale présente dans le contexte national soudanais. Les Émirats Arabes unis et l’Arabie Saoudite se mobilisent pour avoir une influence au Soudan. Les deux États du Golfe ont annoncé, le 21 avril, qu’ils consacreront trois milliards de dollars au Soudan. Une mesure qui témoigne à la fois de leur volonté d’influencer la vie politique soudanaise et de mettre fin à la présence du Qatar et de la Turquie, qui ont tous deux des intérêts stratégiques déterminants au Soudan. Le Qatar a conclu un accord économique en mars 2018 afin de développer le port de Sawakin, situé sur la Mer Rouge. La Turquie avait également conclu un accord avec le régime d’el-Bechir visant le développement de l’île Sawakin6.

Perspectives :

  • Le contexte politique soudanais se ressemble à celui d’Egypte puisque l’armée a établi des alliances avec les forces islamistes pendant la période de transition suite à la révolution de 2011.
Sources
  1. Texte complet de la déclaration du renversement d’el-Bechir ( النص الكامل لبيان « عزل البشير » ), Sky News Arabe, 11 avril 2019
  2. Soudan : Fin des consultations sur la formation du conseil souverain sans accord ( معمر القذافي يجيب على السؤال.. كيف تقود انقلابا عسكريا ناجحا؟ ), Al Jazeera, 29 avril 2019
  3. Séculaire est un concept utilisé aux pays arabes pour décrire la personne qui n’est ni militaire ni islamiste.
  4. Le conseil militaire avorte-t-il la révolution soudanaise contre les salafistes ?, Raseef 22, 27 avril 2019
  5. Arabi 21 interview « les Frères du Soudan » à propos de leurs posture, 13 avril 2019
  6. La rivalité régionale sur le Soudan : soutien aux Soudanais ou extension d’influence ?, BBC Arabic, 25 avril 2019