Cotonou. Le Bénin n’avait pas connu telle agitation depuis des décennies. La tenue des élections législatives du 28 avril a donné lieu à des manifestations d’ampleur dans la capitale économique du pays, Cotonou, où deux victimes civiles sont déjà à déplorer1. En cause, l’absence de tout parti d’opposition au scrutin, du fait d’un nouveau code électoral. Ce dernier a en effet multiplié par vingt2 le montant de la caution à verser par un parti pour présenter une liste et relevé à 10 % le seuil à atteindre par une formation politique pour être représentée à l’assemblée nationale.

Résultat, seules l’Union progressiste du président Patrice Talon et la coalition Bloc Républicain de ses alliés ont fait leur entrée au parlement après un scrutin à la faible participation (23 %), plaçant Porto Novo sous le feu des critiques. Celles des poids lourds de l’opposition, d’une part, à l’instar de Lionel Zinsou, ancien premier ministre (2015-2016) et candidat défait par Patrice Talon en 2016, qui a appelé à « sauver les libertés publiques ». Son allié, l’ex-président Thomas Boni Yayi (2006-2016) a vu son domicile encerclé par les blindés des forces de l’ordre le 1er mai, quelques jours après s’être uni avec un autre ancien chef d’État, Nicéphore Soglo (1991-1996), pour manifester contre le code électoral.

À l’échelle internationale, l’Union Africaine, a de son côté dénoncé « la rupture du consensus au sein de la classe politique, mettant ainsi à mal le caractère ouvert, inclusif et compétitif qui a traditionnellement caractérisé les processus électoraux au Bénin »3.

Cette période de troubles présage un tournant dans l’histoire récente du Bénin, marquée par les alternances pacifiques et un fort pluralisme politique. Cas d’école enseigné dans tous les cursus d’études africaines, la conférence nationale souveraine qui s’y est tenue en 1990 a conduit au départ pacifique du président marxiste de l’époque, Mathieu Kérékou, et inspiré des événements similaires dans d’autres pays d’Afrique francophone, comme au Gabon ou au Zaïre. Les alternances se sont succédé, voyant même un retour au pouvoir pacifique de Mathieu Kérékou, considéré jusqu’à sa mort en 2015 comme un démocrate converti.

Ce tableau idyllique du Bénin post-1990 mériterait d’être nuancé : malgré les élections reconnues comme ouvertes et transparentes jusqu’ici, plusieurs événements invitaient à la méfiance. Outre plusieurs tentatives de coup d’État avortées qui ont visé chaque président depuis, l’exercice du pouvoir de Patrice Talon suscitait plusieurs critiques au sein de l’opposition quant à son respect des institutions.

Le troisième homme de l’élection présidentielle de 2016, l’homme d’affaires Sébastien Ajavon, s’est en effet vu condamné à 20 ans de prison en octobre dernier dans une affaire de trafic de cocaïne au terme d’un procès qui a vu l’essentiel des autres opposants dénoncer une atteinte à l’État de droit4. L’annulation de cette condamnation par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) en avril dernier sonne autant comme un recours supranational inespéré que comme un symptôme du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire5.

Perspectives :

  • À moins de deux ans des prochaines élections présidentielles, Patrice Talon semble donc intouchable malgré le feu des critiques. Celui qui est aussi l’homme le plus riche du Bénin après avoir fait fortune dans le secteur du coton met fin par ces élections législatives à une assemblée nationale qui avait barré la route à son projet de réforme constitutionnelle de 2017.
  • Le grand test à venir sera celui des instances supranationales africaines, pour l’instant sans impact sur le sujet. Une mission de la Communauté Économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’était rendue en mars dans le pays pour tenter une médiation à l’approche des élections, sans succès6.
  • Ce tournant sécuritaire au Bénin redessine également la carte régionale. Avec le Sénégal, le Bénin était considéré comme un modèle démocratique sûr, et prenait part via ses représentants à de nombreuses missions d’observation. Le président sénégalais étant lui-même critiqué pour avoir fait passer une loi électorale rendant plus difficile la candidature aux élections présidentielles7 et pour avoir supprimé sans préavis8 le poste de Premier ministre, Dakar comme Porto Novo pourraient perdre en crédibilité aux yeux des chancelleries occidentales qui s’appuyaient jusqu’ici sur ces deux alliés sur les questions de gouvernance.