Moscou. Jeudi 13 juin, le ministre russe de l’Énergie, Alexandre Novak, a rencontré le vice-président de la Commission européenne chargé de l’Énergie, Maros Sefcovic, afin de d’évoquer les négociations tripartites sur le futur transit ukrainien1. « Nous sommes prêts à prolonger le contrat aux conditions existantes », a alors déclaré Alexandre Novak estimant par ailleurs que le moment le plus opportun pour poursuivre les discussions trilatérales serait la deuxième moitié de Septembre2. Le directeur exécutif de la compagnie de gaz ukrainienne Naftogaz, Yuriy Vitrenko, a aussitôt réagi sur Facebook en accusant Moscou de retarder les pourparlers. Ces négociations étaient espérées dans un premier temps en juin puisque les Russes semblaient attendre le résultat des élection présidentielles ukrainiennes. Désormais, ils attendent celui des élections législatives convoquées de manière anticipée le 21 juillet 2019 par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Toutefois, pour des raisons constitutionnelles, ces élections pourraient finalement se tenir à la date initiale du 27 octobre 2019. Si tel est le cas et que les Russes attendent la formation du gouvernement qui en découlera, les véritables négociations pourraient ne débuter qu’en décembre comme le prévoyait Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie de l’IFRI3.

Le contrat de transit se finissant au 31 décembre, quel serait l’intérêt des Russes d’attendre le dernier moment pour discuter ? Premièrement avoir toutes les cartes en mains. En effet il subsiste des incertitudes de taille dans ce dossier, notamment celles concernant l’état d’avancement du Nord Stream 2 à la fin de l’année qui dépend des sanctions américaines, de la nouvelle directive gaz européenne et du permis danois. Le blocage danois, principale raison du retard de la construction, pourrait céder en raison de la défaite, le 6 juin dernier aux élections législatives, du premier ministre Lars Lokke Rasmussen ferme opposant au projet. C’est en tout cas ce que pense Gerhard Schroeder président du conseil d’administration de Nord Stream 24. Pourtant rien n’est moins sûr puisque les sociaux-démocrates victorieux ont annoncé vouloir mettre l’environnement au centre de leur action ce qui ne devrait pas jouer en faveur du gazoduc. Le tronçon danois peut être construit en un maximum de cinq semaines, quel que soit le tracé, déclarait le 7 juin le président de Gazprom Alexey Miller au Forum économique international de Saint-Pétersbourg5.

Si dans le cas danois un retournement de situation semble peu probable, cela n’est toutefois pas impossible. En témoigne le cas slovaque. En effet, Il y a deux mois, au côté de son homologue ukrainien Volodymyr Groysman, le Premier ministre slovaque Peter Pellegrini s’opposait fermement au Nord Stream 2. Il plaidait pour un maintien du transit est-ouest entre l’Ukraine et la Slovaquie et affirmait que les entreprises slovaques s’impliqueraient dans la restructuration du réseau de transport gazier ukrainien6. Lors de sa rencontre avec Dmitry Medvedev le 5 juin à Moscou, la position de Pellegrini semblait s’être grandement assouplie. La partie russe semble l’avoir convaincu que Nord Stream 2 et Turkish Stream pourraient conférer à la Slovaquie une place tout aussi essentielle qu’aujourd’hui au sein du réseau européen, notamment en se branchant aux capacités de stockage slovaques7. De pareils arguments avaient déjà séduit le président du voisin tchèque, Miloš Zeman, fin 20178.

S’il y a un pays qui ne changera pas d’avis, c’est la Pologne. Son président, Andrzej Duda, s’est rendu à Washington le 12 juin où il a, à nouveau, fait front commun avec son homologue américain9. Outre la démonstration de vol des F-35 que la Pologne a promis d’acheter, la rencontre a également débouché sur la signature d’un nouveau contrat de fourniture de GNL entre PGNiG et Venture Global LNG10. Les deux dirigeants en ont évidemment profité pour rappeler leur opposition au Nord Stream 2 et Trump a annoncé vouloir transférer mille militaires américains en Pologne depuis l’Allemagne. Une forme de punition pour cette dernière qui ne répond pas aux exigences américaines que ce soit en matière de stratégie énergétique ou de budget de Défense.

Pour en revenir à notre question initiale, quel objectif les Russes cherchent-ils à atteindre en retardant la tenue des négociations tripartites ? Difficile de répondre à cette question tant les facteurs de l’équation sont multiples. En attendant le dernier instant pour négocier, les Russes espèrent-ils qu’Européens et Ukrainiens se plient à leurs exigences en exacerbant les inquiétudes ? En effet, la Commission pourrait craindre une baisse de la compétitivité de l’économie européenne du fait de l’augmentation des prix du gaz si le retard du Nord Stream 2 se conjuguait à l’absence de transit ukrainien. Face à une augmentation des prix du gaz, les Européens auraient sans doute plus à perdre que les Russes car certes Gazprom perdrait des parts de marché à la faveur du GNL mais des prix plus élevés agiraient en compensation des volumes perdus. Quant à l’Ukraine, son nouveau président pourrait reculer devant la perspective de commencer son mandat dans une situation de récession qu’engendrerait l’absence de transit. Si Alexandre Novak espère que « les nouvelles autorités ukrainiennes pourront faire preuve d’une approche pragmatique quant à la poursuite du transit via leur territoire après 2019 » selon les mêmes conditions qu’aujourd’hui, Zelensky pourrait toutefois être enclin à écouter les positions les plus fermes comme celle de Yuriy Vitrenko qui estime que le contrat actuel n’est pas dans l’intérêt de Kiev et qui a prévenu que l’Union devait se préparer à se retrouver sans nouvel accord de transit l’an prochain. Autre frein à la conclusion d’un accord, la non-reconnaissance par Gazprom de la décision de mars 2018 de la Cour de Stockholm qui condamne l’entreprise pour ne pas avoir livré les volumes de gaz prévus à Naftogaz en 2009. Avant tout accord, Gazprom exige un règlement à l’amiable du différend juridique11.

Le gaz en Europe, entre gazoducs et terminaux GNL

Perspectives :

  • Si la position russe semble clairement énoncée, celle des nouvelles autorités ukrainiennes restent encore à définir. La visite de Zelensky en France le 17 juin et Allemagne le 18 juin devraient y contribuer.