Londres. C’est l’une des tendances de fond de la démocratie contemporaine post-crise économique de 2008. Les électeurs sont de moins en moins fidèles à un parti, et peuvent changer d’appartenance d’une élection à l’autre avec une extrême volatilité. Les élections européennes viennent d’en donner un bel exemple en Italie. En 2014, aux Européennes, c’était le Parti démocrate de Matteo Renzi qui avait réalisé un score historique, au-dessus de 40 %. En 2018, c’est le Mouvement 5 Étoiles (M5E) qui était arrivé en tête avec plus de 33 % des suffrages, faisant exactement le double du score de la Ligue de Matteo Salvini, en pleine ascension. Aux Européennes du 26 mai, c’est la Ligue qui est arrivée à 33 % et le M5E à 17 %, renversant le rapport de force, comme les sondages l’indiquaient.

Au Royaume-Uni, deux élections viennent de nous donner une tendance comparable, conditionnée par le Brexit qui est devenu le point majeur de clivage au sein de l’électorat. Aux élections législatives de 2017, le Parti conservateur et le Parti travailliste étaient arrivés nettement en tête. Aux Européennes de 20191 en revanche, ils ne sont qu’en troisième (Labour) et cinquième place (Conservateurs). C’est le tout nouveau parti de Nigel Farage, le Brexit Party, qui est arrivé en tête avec 31,6 % des voix. Il y a six mois ce parti n’existait pas. Les Libéraux Démocrates se placent en deuxième position, avec un score historique de 20,3 %. Le parti de Theresa May n’a obtenu qu’un score de 9,1 %, du jamais vu depuis la Seconde guerre mondiale. Ce record négatif a d’ailleurs conduit à la démission de la Première ministre, le 7 juin, ouvrant la course à sa succession dans un climat de grande fragilité pour le Parti conservateur, conditionné de plus en plus par la radication des tenants du Brexit.

Le 6 juin, alors que Theresa May présidait aux cérémonies du 75ème anniversaire du Débarquement,  se tenait une élection partielle dans la circonscription de Peterborough, scrutée par tous les observateurs politiques. Cette fois, c’est le Parti travailliste qui l’a emporté, d’une courte tête, avec 10,5 % des suffrages, devant (de 683 voix) le Brexit Party de Nigel Farage. Les Conservateurs étaient 3ème et les Lib Dem 4ème. Dans cette même circonscription, le Brexit l’avait largement emporté lors du référendum de 2016, avec un score de plus de 60 %. Bien que d’une courte tête, la victoire du Labour aux dépends du Brexit Party a suscité de nombreuses analyses. Qui a vraiment gagné ?, s’interrogeait le tabloïd The Sun, au lendemain du vote.2. La mobilisation anti-Brexit, sur un scrutin majoritaire à un tour selon la règle britannique du “First Past The Post”, a semblé indiquer l’existence d’une sorte de plafond de verre pour le parti de Nigel Farage, incapable de remporter une circonscription pourtant largement acquise à ses thèses lors du référendum il y a trois ans.

Pour les chercheurs italiens Andrea Pareschi et Gianfranco Baldini, dans un article publié sur le Blog de LSE consacré au Brexit3, l’analyse du vote de Peterborough, à deux semaines de distance du vote aux Européennes, dénote une grande volatilité du corps électoral, mais aussi une forte structuration de ce même vote par l’identification ou non au Brexit. « Les incertitudes du Brexit à venir devraient suggérer aux Conservateurs comme aux Travaillistes de prendre très au sérieux les résultats de Peterborough, surtout depuis que les élections européennes ont révélé de vastes fuites dans leur électorat et les coalitions qui les ont supporté en 2017. Les préférences électorales semblent surtout conditionnées par les identités du Brexit que par le passé, avec le Brexit Party et les Lib Dem qui émergent désormais  – au-delà du cas de Peterborough- comme les partis les plus votés parmi les électeurs à la « forte identité » au sein des deux camps ».

Dans un papier d’analyse de l’évolution de l’électorat après le vote partiel de Peterborough4, John Curtice n’hésite pas à parler, sur la base des récents sondages, d’un Royaume-Uni qui serait peut-être « entré dans l’ère des quatre partis politiques », avec le Brexit Party donné à 25 %, devant le Labour (22 %) et les Conservateurs et les Lib Dem donnés à environ 19 %, comme si le clivage Brexit-Remain avait désormais structuré le paysage politique britannique en substitution du plus classique gauche-droite.

Perspectives :

  • 28-29 juin : Sommet du G20 à Osaka
  • 31 octobre : fin de la période d’extension de l’art. 50
Sources
  1. CLARKE Sean, GUTIERREZ Pablo, HULLEY-JONES Frank, European election latest results 2019 : across the UK, The Guardian, 27 mai 2019
  2. MURPHY Annabel, Peterborough by-election results 2019 – Who won the local election ?, The Sun, 7 juin 2019
  3. PARESCHI Andrea, BALDINI Gianfranco, Why Peterborough matters : electoral preferences are now driven by Brexit identities, LSE Brexit, 14 juin 2019
  4. CURTICE John, The Spill-Over Effect : Brexit and Prospects for Westminster, What UK Thinks, 6 juin 2019