Moscou. Au moins depuis l’élection de Trump, sinon avant1, la Russie concentre l’attention des renseignements des pays occidentaux, qui craignent son influence dans le jeu démocratique. Afin de combler son fossé économique et stratégique avec l’Occident, Moscou a adopté la stratégie dite “du chaos” : scléroser les institutions occidentales, voire les fondements de la coexistence civile dans les pays occidentaux, notamment par la promotion de tendances hostiles aux valeurs démocratiques2.

Telles sont les accusations qui pèsent sur la Russie. La réalité est moins simple, principalement pour deux raisons.

Tout d’abord, la Russie ne semble pas disposer d’outils suffisamment puissants pour atteindre ces objectifs. En d’autres termes, dans le système des médias occidentaux, les médias qui adoptent la version russe constituent toujours une claire minorité, bien que bruyante. De plus, la corrélation entre la croissance d’un certain type d’informations (ou de désinformation) et la montée électorale de certains partis n’a pas encore été démontrée3. Enfin, on ne saurait affirmer que la portée opérationnelle des pirates informatiques russes ou parrainés par des organes de l’État russe puisse menacer l’intégrité de l’infrastructure virtuelle stratégique des opposants.

Deuxièmement, la volonté politique du Kremlin n’est pas toujours univoque. C’est notamment le cas vis-à-vis de l’Europe, toujours dépourvue d’entité étatique supranationale et donc aux mains d’orientations nationales divergentes. Ces divergences se font particulièrement sentir lorsqu’il s’agit des liens avec la Fédération de Russie.

En ce qui concerne les élections européennes, il ne fait aucun doute que Moscou suscitait un certain intérêt. L’impact symbolique et le choc politique résultant d’une grande avancée des souverainistes ne pouvaient en fait que profiter à la stratégie actuelle du Kremlin, qui vise à étendre son influence géopolitique.

Toutefois, l’importance stratégique du renouvellement du Parlement européen est certainement inférieure à celle des principaux scrutins nationaux du continent (France, Allemagne, Royaume-Uni), en particulier dans une phase politique dans laquelle les États disposent de pouvoirs nettement plus puissants que les institutions communautaires.

L’issue des européennes représente donc un succès relatif et simplement tactique pour Moscou, presque dépourvu de résultats concrets. Pour la Russie, les priorités sont la fin des sanctions et la dissolution des liens transatlantiques, par lesquels Washington contrôle l’orientation géopolitique du continent. Aucune de ces deux perspectives n’est devenue plus réaliste après le vote de dimanche dernier et la Russie n’avait, en tous les cas, aucun espoir d’une quelconque amélioration sur ces sujets, même dans le cas d’une affirmation plus claire des forces eurosceptiques.

Grande est en effet la confusion sous le ciel des souverainistes, divisés en deux courants au moins, sinon plus, qui – pour simplifier beaucoup – pourraient être classé dans les « philo-Poutine » de l’Europe occidentale (la minorité) et les « philo-Trump” de l’Europe de l’Est (la majorité). Sans surprise, la droite eurosceptique est encore divisée aujourd’hui en au moins trois groupes parlementaires, dont les relations mutuelles ne sont pas toujours faciles.

Tous les calculs sont déjà faits depuis un certain temps par le Kremlin. Personne là-bas n’a accordé une attention particulière au moment électoral européen et Moscou s’est faite discrète afin de ne pas animer les opinions publiques du continent contre la Russie.

Au Kremlin, on se contente aujourd’hui de détecter la fragmentation du nouveau Parlement européen4. Aux yeux du pouvoir russe, cette situation confirme la vision d’une Europe en déclin et sur le point de s’effondrer, d’ailleurs absolument symétrique au regard que l’Europe porte sur la Russie. Des deux côtés, on constate une tentative de renforcer sa cohésion en amplifiant les problèmes des voisins.

Pour en savoir plus sur le sujet, nous vous recommandons de lire (en italien) l’ebook L’influenza russa in Europa, tra realtà e percezione, publié il y a un mois à peine par l’auteur avec le collectif Osservatorio Russia.

Perspectives :

  • 31 juillet 2019 : date limite de la dernière extension des sanctions de l’UE à la Russie.
Sources
  1. La création du groupe de travail East Stratcom remonte à 2015, une unité européenne de 15 personnes chargée d’identifier les tentatives russes de semer la confusion parmi les citoyens de l’UE. Is Russia trying to sway the European elections ?, BBC News, 20 maggio 2019.
  2. Chaos as a strategy, Putin’s “Promethean” Gamble, Center for European Policy Analysis, novembre 2018.
  3. La cyber-guerra fredda, i russi e la propaganda occidentale, Valigia Blu, 1 dicembre 2017.
  4. EU Parliament election shows growing number of sanctions policy opponents, TASS, 29 maggio 2019.