Bruxelles. Et si le changement plus conséquent sur le long terme pour le futur de l’Union au sortir des élections européennes était la vague verte ? En effet, les résultats des élections confirment que les questions écologiques et environnementales font désormais partie intégrante du paysage politique européen, et qu’après plusieurs événements peu suivies des faits (COP21, COP22, a fortiori COP24 à Katowice, la difficulté manifeste à transformer le fameux Accord de Paris en politiques et normes effectives) 1 les électeurs ont envoyé un message clair à la gouvernance européenne et mondiale, les sommant d’agir sur les questions climatiques.

L’agenda médiatique de ces derniers mois – Fridays for future 2, la pétition “L’affaire du siècle” et ses 2 millions de signataires, l’émergence d’un activisme jeune à travers la figure de Greta Thunberg – a mis en lumière un regain de prise de conscience environnementale, notamment chez les jeunes urbains. Cette prise de conscience a pris une forme dans les urnes : les Verts se sont imposés comme la première force politique auprès des plus jeunes électeurs dans beaucoup d’États membres, comme en France et en Allemagne 3 et l’abstention a nettement reculé dans ce segment que l’on pensait peu éveillé aux enjeux du scrutin européen. Est-il néanmoins juste de parler d’un effet Greta Thunberg ? Ou l’essor des listes écologistes n’est-il pas plutôt le signal de l’incapacité d’une gauche dite « de gouvernement » à convaincre l’électorat sur ces problématiques ? En tout cas, le vote vert semble être une nouvelle forme de vote utile à Bruxelles, confirmant finalement que l’échelle pertinente pour l’action politique, en matière environnementale, est celle de l’Europe.

GEG – Cartographie pour Le Grand Continent

Surtout, les thèmes environnementaux ne sont désormais plus l’apanage des seuls Verts, mais jouissent d’une couverture médiatique importante chez les principaux partis du nouveau Parlement, comme en témoigne les récentes prises de position de Margrethe Vestager 4 et la campagne d’Emmanuel Macron, qui affichait l’écologie comme « priorité n°1 » du programme de Renaissance. L’influence croissante des listes écologistes semble confirmer l’affirmation d’un positionnement systématique vis-à-vis de l’écologie, entre réticence à voter des accords de libre-échange, volontarisme en termes de politiques publiques environnementales symboliques, comme l’interdiction des plastiques à usage unique, et protection des acquis sociaux. Cette tendance donne aux Verts la possibilité d’exercer une influence réelle sur le travail du Parlement, surtout dans des domaines comme la politique énergétique, à l’heure où le renoncement aux énergies fossiles, comme le charbon, pose de nombreuses questions de sécurité du système électrique 5. En matière de traités commerciaux également, si le nombre de sièges des Verts (69) n’est pas mathématiquement suffisant pour former une alliance avec un seul autre parti, une « très grande coalition » entre PPE, S&D et ALDE pourrait être très fragilisée par l’existence du groupe écologiste.

La distribution du vote aux Européennes pour les partis verts. Source  : Europawal.org

Ainsi, chercher le soutien des Verts sur les propositions importantes sera fondamental pour les autres groupes. Et les dirigeants du parti Vert semblent avoir compris déjà ce nouveau rôle : Philippe Lamberts, le co-président des Verts européens, a promis vouloir « être plus proche de la source de la législation : notre priorité est d’obtenir des concessions fondamentales en terme de politiques publiques » 6.

À cet égard, le succès des listes vertes et l’intérêt suscité par les questions environnementales pendant la campagne offrent une perspective intéressante sur le positionnement futur du nouveau groupe qui sortira de l’alliance entre l’ALDE et Renaissance, la liste du président français Emmanuel Macron. En théorie, l’expérience française récente pourrait fournir une base pour former des accords. La mise en place d’une nouvelle gouvernance du climat française, composée du Haut Conseil pour le Climat et du Conseil de Défense Ecologique et réunie pour la première fois en mai, est la dernière mesure d’une série politique inaugurée par les slogans There is no planet B et Make our planet great again en 2017. Les éléments de langage eco-friendly du Président Macron peuvent être le signe de liens presque naturels entre les Verts et le groupe « ALDE+ ». Mais le doute demeure sur la capacité de Macron à s’imposer et à porter légitimement ces défis au niveau européen, un an après la démission du ministre de l’écologie Nicolas Hulot et l’aveu de son impuissance à infléchir concrètement la politique du gouvernement. En tout cas, la vague verte semble ici pour rester.

Perspectives :

  • 20-21 juin : au prochain Conseil européen, les dirigeants européens s’accorderont sur l’agenda stratégique de la prochaine Commission européenne. Une attention particulière sera très probablement dédiée aux thèmes environnementaux.
  • 24 juin : la formation des nouveaux groupes politiques au Parlement européen sera communiquée
Sources
  1. RALLO Renato, Géopolitique du climat : comprendre les COP, Le Grand Continent, 23 avril 2019
  2. RIVIERA Matteo, Le Mouvement Fridays for Future en Europe, Le Grand Continent, 17 mars 2019
  3. STONE Jon, European election results : Green parties surge as ‘Green Wave’ hits EU, The Independent, 28 mai 2019
  4. KEATING Dave, Vestager : ‘We need more commissioners working on environmental issues’, Euractiv, 8 mai 2019
  5. VAYA SOLER Antonio, PELEGRIN Clémence, Le retrait hâtif du nucléaire et du charbon, une menace pour la sécurité énergétique européenne ?, Le Grand Continent, 10 mai 2019
  6. BRUNSDEN Jim, Green parties emerge as big winners in European Parliament elections, Financial Times, 28 mai 2019