Nicosia. La volonté de la Turquie de forer dans les eaux chypriotes pourrait raviver les tensions qui existent depuis plus de 40 ans entre les deux pays. En outre, la découverte récente d’importants gisements de gaz en Méditerranée orientale aiguise les appétits régionaux et pourrait voir de nouveaux acteurs nationaux émerger sur ce marché.

En effet, après la découverte en 2015 du gisement gazier Zohr, au nord des côtes méditerranéenne de l’Egypte, d’autres pays ont décidé de tenter leur chance, à l’instar de la Turquie qui a annoncé son intention de forer au large de la Zone Économique Exclusive (ZEE) de Chypre. En réaction, l’Union Européenne a exprimé le 4 mai son inquiétude à l’encontre de ce projet, appelant la Turquie « à faire preuve de retenue, à respecter les droits souverains de Chypre et à s’abstenir de toute action illégale à laquelle l’Union européenne répondra de manière appropriée et en pleine solidarité avec Chypre » 1.

GEG | Cartographie pour Le Grand Continent

Pour rappel, Chypre est une île coupée en deux depuis 1974, membre de l’Union Européenne depuis 2004 et qui réclame de gagner son unité au détriment de la Turquie qui occupe la partie septentrionale du territoire. La volonté de forer en zone chypriote est donc prise comme une provocation et ne peut qu’envenimer les relations entre les deux pays, alors que ceux-ci dépendent totalement de l’extérieur pour leur approvisionnement en énergie2. Chypre produit en effet près de 90 % de son électricité à partir de combustibles fossiles, tandis que la la Turquie bénéficie d’un mix plus équilibré mais néanmoins dépendant du charbon et de gaz importé. Pourtant, la Turquie a « rejeté » les critiques de Mme Mogherini, affirmant que ses activités liées aux hydrocarbures en Méditerranée orientale étaient « basées sur des droits légitimes ». De fait, le navire de forage Fatih (« Le Conquérant », en turc) devrait entamer sous peu les premières opérations dans la région alors que c’est avec Exxon Mobil, Total et avec l’Italien ENI que Chypre est en discussion dans le but d’exploiter son sous-sol.

Les ressources de ce nouveau gisement devraient ainsi profiter à l’Union puisque la Grèce, l’Italie, Chypre et Israël ont conclu en novembre 2018 un accord portant sur la pose d’un gazoduc entre les trois premiers pays. Des fonds en provenance de l’Union auraient déjà été orientés en faveur d’une étude d’impact en ce sens. Le projet, d’un coût estimé de 6 à 7 milliards d’euros, devrait permettre à Chypre et à Israël d’exporter 20 milliards de m3 de gaz naturel en Europe via un futur gazoduc3.

Ce nouveau gisement permettrait ainsi à l’Union de diversifier son approvisionnement en gaz, de ne pas avoir à passer le verrou du barrage de Suez et de mener à bien sa transition énergétique, en valorisant l’utilisation de gaz naturel au détriment du charbon, encore largement utilisé (environ 20 % de la production d’électricité européenne en 2016)4. La sécurisation de cette zone ainsi que la stabilité régionale sont donc deux enjeux clés qui seront à coup sûr au centre des prochaines discussions entre les différents protagonistes.

Perspectives :

  • La présence de nouveaux acteurs gaziers tels Israël, l’Egypte ou Chypre est un bon signe pour le marché du gaz européen et devrait renforcer les relations entre ces pays à court terme.
  • L’exploitation de ce gisement devrait ainsi alléger la facture de gaz européenne mais possiblement au détriment de sa relation avec la Turquie qui pourrait se sentir spoliée et mise de côté.
  • La création d’un nouveau front de tension dans une zone déjà complexe devrait cependant alerter les autorités européennes afin de maintenir de bons rapports avec la Turquie.