Le Caire. Entre le 20 et le 22 avril, les Egyptiens se sont rendus aux urnes et se sont prononcés, à près de 89 %, en faveur de réformes constitutionnelles substantielles qui affecteront significativement le système politique égyptien. Ce référendum, qui se prépare en coulisses depuis plusieurs mois mais dont l’organisation a été annoncée à la dernière minute, est intervenu quelques jours seulement après que la majorité des députés du Parlement a approuvé ces amendements (moins de vingt députés se sont prononcés contre). Le président de l’autorité nationale des élections (ANE), Lahcine Ibrahim, a précisé, en proclamant les résultats, que cette révision entrait en vigueur « immédiatement »1.

Le changement le plus symbolique et le plus débattu est celui de l’extension du mandat d’Al-Sissi de quatre à six ans, ce qui lui garantit de conserver le pouvoir jusqu’en 2024, et la possibilité de se présenter pour un deuxième mandat de six ans, ce qui lui permettrait potentiellement de rester président jusqu’en 20302. La limitation à deux mandats est néanmoins conservée dans la Constitution, mais prend effet pour Al-Sissi à partir du mandat actuel, entamé après les élections de mars 2018. Outre cette mesure phare, le rôle de l’armée, déjà prégnant aux plans politique et économique, est institutionnalisé, la Constitution la décrivant désormais comme « garante de la démocratie, de la constitution et du caractère civil de l’Etat »3. Ses possibilités de juger des individus devant un tribunal militaire sont étendues. L’équilibre des pouvoirs est considérablement affecté, avec la faculté pour le président de nommer le président de la Cour constitutionnelle et le procureur de la Cour suprême, et de présider une nouvelle instance, le Conseil supérieur des organes judiciaires. La Constitution modifiée consacre également le retour du bicaméralisme, avec la mise en place à venir d’une nouvelle chambre.

Dans les centres de vote, le texte de ces 21 amendements n’était pas présenté aux votants, ce qui, selon un juge égyptien, n’est pas constitutionnel4. Il aurait en outre fallu, pour respecter la Constitution, que les électeurs puissent se prononcer sur chaque amendement séparément. Autre étrangeté : en dehors d’Abdel Hady Al-Qasaby, député pro-gouvernement, le mystère pèse sur l’identité des 156 députés qui auraient introduit ces amendements au Parlement. Quant au taux de participation annoncé de 44 %, il semble peu réaliste, en dépit des efforts des autorités pour pousser les citoyens à voter (distribution de colis de denrées alimentaires notamment)5. En effet, le scrutin a donné lieu à une campagne d’information très limitée et même lors de l’élection présidentielle de 2012, moment politique essentiel, la participation n’était que de 46 %.

En quelques mois donc, ce qui restait de l’héritage de la révolution de 2011, déjà entamé lors de l’entrée en vigueur d’une nouvelle Constitution en 2014, a été balayé. Tout porte cependant à croire que cette stratégie d’accroissement du pouvoir exécutif est mûrie de longue date : dès 2015, le raïs égyptien évoquait la nécessité d’éventuelles modifications constitutionnelles face aux difficultés économiques du pays6. La Constitution de 2014 avait déjà redonné une place centrale au président face au Parlement. Quant à ces toutes dernières modifications, elles sont justifiées par la situation du pays et le contexte régional, selon un communiqué du Parlement7.

Perspectives :

  • L’état d’urgence est prolongé pour les trois mois à venir, selon le bulletin officiel égyptien du 25 avril.
  • Le maréchal Al-Sissi, non content de tenir le pays d’une main de fer, cherchera à accroître son influence régionale, profitant de sa présidence de l’Union africaine, comme en témoigne les sommets sur la situation au Soudan et en Libye convoqués au Caire le 23 avril.