Le Caire. Le 4 décembre, le Parlement du Caire a examiné des propositions d’amendement de la Constitution égyptienne, en particulier les termes concernant les limites de deux mandats de quatre ans chacun pour le Président de la République. La nouvelle a été diffusée par le journal égyptien Mada Masr, qui parle de changements substantiels à introduire au premier semestre 2019. Ces changements affecteraient également les fonctions du bureau présidentiel. Il s’agirait d’une réorganisation des systèmes de renseignement sous l’égide du Service général de renseignement (SGR) et d’une réduction du nombre de parlementaires (qui passerait de 595 actuellement à 350). Le calendrier “proposé” au Parlement ainsi que le choix de faire passer des hypothèses de travail pour de véritables “réformes” de l’exécutif révèlent un pas en avant inquiétant vers un accroissement des pouvoirs du Président, ainsi que l’intention du chef de l’État, Abdel Fattah al-Sissi, de résoudre dans les meilleurs délais des questions importantes en évitant toute véritable contradiction politique et parlementaire1.

Selon la presse, les responsables du renseignement et les membres du Bureau se réunissent presque quotidiennement au siège du SGR pour mieux définir le calendrier et l’application des amendements à la Constitution. Mada Masr affirme également que Mahmoud al-Sissi, fils du Président et membre éminent du SGR et le général Abbas Kamel, chef du Service national de renseignement, sont chargés de cette affaire. Les premières propositions à cet égard avaient déjà été faites en septembre 2015, un an seulement après la première élection, au cours de laquelle le président avait mentionné d’éventuelles modifications constitutionnelles dictées par la situation d’urgence économique et sociale extraordinaire dans le pays, ainsi que la large reconnaissance populaire reçue lors des consultations2.

Toutefois, la proposition qui dérange le plus l’opposition est celle qui concerne la définition de nouveaux délais pour le mandat présidentiel : les limites seraient prolongées rétroactivement de quatre à six ans, mettant ainsi fin au mandat non pas en 2022 mais en 2026. Cette réforme comprend également d’autres amendements qui affecteraient les fonctions du bureau présidentiel et le cadre institutionnel dans son ensemble. En effet, un Haut Conseil pour la protection de la Constitution devrait également être créé : ce nouvel organe serait doté de pouvoirs étendus pour protéger l’identité de l’État et sauvegarder la sécurité nationale. Al-Sissi serait nommé à la tête de cette nouvelle institution, un poste qu’il occuperait à vie, qu’il reste président ou non. Il s’agit en fait d’une révision du Conseil suprême des forces armées (CSFA), l’institution égyptienne qui, pendant les phases post-révolutionnaires entre 2011 et 2012, a pris le pouvoir dans le pays en utilisant son rôle de gestion des transitions politiques. Bien que le CSFA soit un instrument extraordinaire qui ne s’active qu’en cas de crise grave – comme celle de 2011 -, le Conseil supérieur pour la protection de la Constitution aurait des fonctions presque similaires mais fonctionnant dans un contexte de légitimité ordinaire, à l’exact opposé d’une situation d’urgence. Dans le même temps, ces mesures mettraient définitivement un terme à toute tentative de révision du processus démocratique dans le pays afin d’imposer un mécanisme de normalisation qui appelle à un certain rétablissement du système antérieur à 2011. Essentiellement, nous assistons à une institutionnalisation de l’autoritarisme3.

Bien que cette pratique ne soit pas nouvelle dans l’histoire du pays, surtout si l’on tient compte du fait que presque tous les chefs d’État égyptiens ont eu des pouvoirs extrajudiciaires pour réprimer la dissidence et maintenir le pouvoir, elle présente néanmoins certains éléments nouveaux, tels que l’utilisation généralisée de mécanismes juridiques pour imposer un contrôle autoritaire à la société. Les lois qualifiées de liberticides par les plus importantes ONG internationales (de Human Rights Watch à Amnesty International) à l’égard des journalistes et des ONG elles-mêmes, ou celle concernant l’utilisation des médias et du web, ainsi que les lois sur la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme, soulignent combien les institutions locales ont dû recourir largement aux pouvoirs extrajudiciaires comme moyens de gouvernement. Ce qui ressort, c’est la restriction massive et forcée de tout espace de dissidence. Ce phénomène était déjà évident dans les mois qui ont précédé l’élection présidentielle de mars – qui a vu la victoire évidente d’al-Sissi – mais s’est renforcé dans les semaines qui ont immédiatement suivi avec l’arrestation préventive de potentiels opposants politiques tels que Masoum Marzouk, ancien ambassadeur et sous-secrétaire aux Affaires étrangères, arrêté pour avoir lancé une proposition pour un référendum populaire sur les réseaux sociaux4.

Dans ce contexte, le risque que les problèmes économiques non résolus puissent avoir une incidence sur la stabilité sociale du pays doit être préoccupant : les difficultés économiques alimentent la colère, la frustration et le mécontentement, qui pourraient se confondre avec les manifestations contre le régime et encourager de nouvelles violences. Les révoltes provoquées par la hausse des prix du carburant et du pain, ainsi que les grèves de plus en plus fréquentes dans les grandes villes, ont montré un niveau croissant d’insatisfaction et de ressentiment de la part des plus pauvres. Les réformes économiques elles-mêmes ont contribué au mécontentement parce qu’elles ne s’accompagnent pas de réformes structurelles au niveau social5.

Ainsi, à l’approche du huitième anniversaire des soulèvements de janvier 2011, l’Égypte se trouve toujours dans une situation difficile d’équilibre précaire entre la profonde réticence de l’État à renoncer à un pouvoir fort et la demande croissante de démocratie et de liberté de la part de la population.

Perspectives :

  • Bien que l’économie égyptienne montre quelques signes de reprise, les tentatives d’al-Sisi afin de réduire la dette publique par l’introduction de mesures d’austérité strictes risquent d’ignorer les réformes structurelles qui seraient nécessaires, laissant largement place au mécontentement populaire.
  • Jusqu’à présent, toutes ces mesures autoritaires n’ont été dénoncées publiquement, si ce n’est de façon discrète, par aucun acteur régional ou international, probablement parce que la préservation du régime actuel consolide et protège des intérêts plus transversaux.

Sources :

  1. SOLIMAN Asmahan, Egypt’s new political order in the making, Mada Masr, 4 décembre 2018.
  2. ARDOVINI Lucia, President al-Sisi’s Expanding Authority : Rule by Extra Judicial Powers, Foreign Policy Centre (FPC), 13 décembre 2018.
  3. ALLMAN Kira, Revolution and Counter-revolution in Egypt’s Emergency State, Oxford Human Rights Club, 9 mars 2018 ; DENTICE Giuseppe, Egitto : approvata la legge di immunità per i militari, La lettre du lundì, Edition 19, 12 août 2018.
  4. MANDOUR Maged, Sisi’s Debt Crisis, Sada Journal, Carnegie Endowment for International Peace, 20 novembre 2018.

Giuseppe Dentice

Sources
  1. MANDOUR Maged, Sisi’s Debt Crisis, Sada Journal, Carnegie Endowment for International Peace, 20 novembre 2018.
  2. MANDOUR Maged, Sisi’s Debt Crisis, Sada Journal, Carnegie Endowment for International Peace, 20 novembre 2018.
  3. ARDOVINI Lucia, President al-Sisi’s Expanding Authority : Rule by Extra Judicial Powers, Foreign Policy Centre (FPC), 13 décembre 2018.
  4. SOLIMAN Asmahan, Egypt’s new political order in the making, Mada Masr, 4 décembre 2018.
  5. ALLMAN Kira, Revolution and Counter-revolution in Egypt’s Emergency State, Oxford Human Rights Club, 9 mars 2018 ; DENTICE Giuseppe, Egitto : approvata la legge di immunità per i militari, La lettre du lundì, Edition 19, 12 août  2018.