Paris. Le 16 avril, la ministre des Armées française, Florence Parly a confirmé que Thales prendra bien part au programme du Système de Combat Aérien du Futur (SCAF)1. Une nouvelle passée relativement inaperçue dans les médias mais pourtant décisive, qui enlève une incertitude réelle concernant l’avenir de l’aviation de combat européenne2.

En 2017, la France et l’Allemagne avaient décidé de s’unir pour développer leur future aviation de combat, à l’horizon 2040. Cette forte volonté politique a abouti à la création du programme SCAF, qui ne comprend pas simplement le développement d’un avion de chasse mais également de l’ensemble des systèmes qui y seront connectés ainsi que des drones. C’est donc un vaste et très ambitieux programme, qui nécessite de penser la guerre aérienne future, en unissant tant les besoins et les doctrines que les industriels des deux pays.

Capitalisant sur l’expérience des précédents programmes d’armement européens, et en particulier sur l’A400M (l’avion de transport européen polyvalent), qui s’étaient caractérisé par des retards techniques et de livraison dus à la multiplicité des industriels impliqués dans le projet et aux critères exigés par chaque pays, il a été décidé que désormais un « maître d’œuvre » industriel unique dirigerait l’ensemble du programme, pour une plus grande efficacité. Ainsi Dassault a-t-il été désigné maître d’œuvre du SCAF (Airbus reste cependant associé à la phase de conception) tout comme il l’est par ailleurs sur le programme nEUROn, le démonstrateur de drone de combat furtif, lui aussi européen. L’histoire était-elle donc en marche pour une vraie intégration européenne dans l’aviation militaire (après l’A400M et le ravitailleur MRTT) ? Les principaux obstacles semblaient en tout cas enfin surmontés.

Mais le diable se cache dans les détails. Très vite, dès la phase initiale de collaboration, des tensions sont apparues, provenant surtout du côté allemand, que ce soit sur la question des exportations (l’Allemagne en ayant une vision restrictive), du possible achat de F-35 américains3 et surtout autour de la question de la connectivité et du système de combat collaboratif du SCAF. Car si Dassault s’occupe de de la conception du futur avion, la connectivité n’est pas de son ressort, et faisait l’objet d’une bataille acharnée entre Thales (soutenu par la France) et Airbus Defense and Space (soutenu par l’Allemagne).

In fine, Thales a réussi à emporter la décision, en s’unissant avec l’allemand Hensold et l’espagnol Indra. La même stratégie d’alliance transnationale avait été adoptée concernant la motorisation, avec cette fois une union entre le français Safran et l’allemand MTU Aero Engines selon le principe du « meilleur athlète »4 : chaque entreprise développe son expertise dans le domaine où elle est la plus efficace comparativement à son partenaire industriel.

S’agissant du rôle de Thales et de ses partenaires, il semble qu’il s’agisse principalement de la mise en réseau des différentes composantes du SCAF. Ainsi, les domaines du combat collaboratif et du « cloud de combat » sont mis en avant dans une fiche de poste5mise en ligne par Thales SIX (entité spécialisée dans les systèmes de commandement et dans les réseaux sécurisés, fixes ou mobiles). La ministre française des Armées, Florence Parly, a ainsi indiqué que Thales va « construire le dialogue entre les objets connectés de ce système de combat collaboratif ». La question de la place disponible pour héberger ces équipements (serveurs, réseau, transmission et chiffrement) se posera nécessairement, tout comme celle des interfaces entre ces différents objets connectés et le système les fédérant. Soulignons d’ailleurs qu’un certain flou subsiste autour de ces objets connectés : alors que d’aucuns voient là une reformation de la « Rafale Team »6, certains composants réalisés par Thales sur le Rafale (comme par exemple le radar) n’ont pas encore été attribués parmi les industriels retenus pour le SCAF.

Il semble ainsi se dessiner un véritable partage des tâches, en fonction des spécialités des industriels et des pays participant, ce qui constitue un exercice d’équilibre réellement structurant dans la création d’un complexe militaro-industriel européen. En effet, ce programme militaire est le seul de ce type en Europe et s’étale sur plusieurs décennies. Pour un industriel européen, en être exclu signifie un risque réel de perte de compétence, sur le long terme voire de façon irréversible, s’il n’emporte pas les « parts de marché » sur le projet structurant du moment. D’où les stratégies de lutte (et d’alliances) qui se déroulent sur le SCAF.

Mais les conditions du « deal » interrogent : l’alliance entre Hensold et Thales a-t-elle été perçue comme un compromis suffisant ou celui-ci serait à trouver dans le pendant terrestre du SCAF, le Main Ground Combat System (MGCS) visant à la création d’un char franco-allemand ? En effet, sur ce terrain c’est bien le risque d’un déséquilibre industriel, cette fois-ci à la faveur de l’Allemagne, qui peut sembler se dessiner. Initialement, le projet devait inclure le français Nexter et l’allemand KMW, qui ont dans ce but formé une entreprise commune : KDNS. Mais l’autre « grand » de l’industrie terrestre allemande, Rheinmetall, a exprimé le projet de racheter purement et simplement 75 % de KNDS7, ce qui aurait pour conséquence de marginaliser de manière substantielle le partenaire français. La France a-t-elle acceptée cet état de fait pour placer Thales en pôle position sur la SCAF ? Rien n’a encore été communiqué à ce sujet mais, dans les cénacles militaires, nul doute que ce scénario a été envisagé.

GEG | Pôle cartographe pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • Après la notification du contrat d’architecture et de concept en février, la signature d’un contrat entre la France et l’Allemagne pour le démonstrateur du moteur de cet avion de combat de nouvelle génération devrait intervenir « mi-2019 » (très certainement à l’occasion du salon du Bourget).
  • La suite du rachat de KNDS par Rheinmetall, qui devrait aboutir avant 2020.
  • D’autres pays pourraient rejoindre le projet une fois ses grandes lignes définies, comme c’est déjà le cas de l’Espagne depuis février 2019.
Sources
  1. PARLY Florence, Allocution au personnel de Thales, Ministère français de la Défense, 16 avril 2019.
  2. LAGNEAU Laurent, Berlin pourrait saborder le projet d’avion de combat franco-allemand de 6e génération, Opex360, 9 novembre 2018.
  3. LAGNEAU Laurent, Frictions franco-allemandes au sujet du Système de combat aérien futur, Opex360, 29 octobre 2018.
  4. CHACHATY Helen, Safran et MTU scellent leur partenariat sur le SCAF, Le Journal de l’Aviation, 06 février 2019.
  5. Thalès, Fiche de poste : Responsable des études système SCAF.
  6. SCHUMACHER Thomas, Avec Thalès, la Rafale Team se reforme enfin sur le programme SCAF, Pax Aquitania, 19 avril 2019.
  7. PARLY Florence, Allocution au personnel de Thales, Ministère français de la Défense, 16 avril 2019.