Paris. La semaine dernière nous avons suivi l’incendie qui à partir de 18h50 de lundi soir a détruit une bonne partie de la toiture de Notre-Dame. L’émotion chorale, internationale, transclasse a fait de l’incendie un événement mondial. On est au milieu de la campagne européenne : l’ensemble des personnalités politiques continentales a souhaité exprimer son soutien et son émotion.

Dans l’émotion générale on remarque cependant une extrême prudence du côté du Pape.

  • François n’a pas saisi ce moment d’émotion planétaire pour faire un symbole. Dans la soirée de l’incendie, il a laissé le directeur de la salle de presse du Saint-Siège déclarer qu’il « priait pour les catholiques de France et pour la population parisienne  »
  • Le message adressé à l’archevêque de Paris mardi à midi présente une insistance sur la dimension nationale de l’événement. Notre-Dame est « un symbole national cher au cœur des Parisiens et des Français dans la diversité de leurs convictions »1.
  • Si François n’a pas voulu saisir ce moment c’est aussi pour éviter la narrative d’une guerre des religions, qui, malheureusement, a été au centre du débat à cause de l’attentat de probable matrice islamiste au Sri Lanka.

Tout se passe comme si au Vatican on cherchait à contenir cet événement et la puissance de sa charge symbolique. Comment expliquer cela ?

  • Une crise schismatique interne déchire l’Église. Deux Papes sont à Rome. Benoît XVI, jusqu’ici très silencieux, a pris une position extrêmement dure contre la ligne de réforme proposée par François, en publiant le 12 avril un texte de 18 pages dans un périodique mensuel du clergé bavarois.
  • Ratzinger déclare, entre autres : « L’idée d’une meilleure Église créée de nos mains est en fait une suggestion du diable ». La prise de position du Pape émérite traduit l’existence d’un camp dans la Curie prêt à tout pour arrêter l’action de réforme de François. Le Pape sait qu’en continuant l’élan de son action (en annonçant une réforme du célibat des prêtres par exemple) il ouvrirait une crise potentiellement schismatique, conduisant à l’éclatement du christianisme occidental.
  • Cette crise institutionnelle est aussi une crise culturelle. Comme nous l’a expliqué Olivier Roy dans un entretien qui a beaucoup circulé cette semaine Notre-Dame montre que « l’Église est complètement dépossédée  » En effet : « L’unité apparente cache en réalité un profond désaccord. Les séculiers pleurent un objet culturel – cela aurait été le Louvre, ce serait pareil – les catholiques pleurent une mise à l’épreuve de leur foi, dont ils ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, le sens et qui s’énoncerait sous la vieille image de la colère de Dieu »2.

La question dès lors est celle du sens politique du christianisme. La réponse, presque impossible, à la question : l’Europe est-elle chrétienne ?

Nous vous invitons à vous pencher sur le texte essentiel écrite sur Le Grand Continent par Olivier Roy pour comprendre le déchirement de l’Église entre le religieux et le séculier dans le monde contemporain : « le problème de l’Europe est aujourd’hui de promouvoir non pas l’expulsion du religieux vers la sphère privée, mais au contraire la resocialisation et la reculturation du religieux  »3.

GEG | Pole cartographe © Le Grand Continent

*Ce texte a été publié originellement à la une de l’édition 53 de la Lettre du Lundi, 22 avril 2019. Vous pouvez lire l’édition complète ici.

Perspectives :

  • Le paradoxe de l’apparent consensus dans le deuil, unissant croyants et non croyants apparaît claire dans les réactions à l’incendie des leaders internationaux.
  • D’un côté, Alexis Tsipras, Sebastian Kurz, Barack Obama, parlent dans leur réactions du patrimoine culturel mondial, de l’un de plus grand trésor du monde.
  • De l’autre côté, des figures comme Orban, Poutine, déplorent la perte d’un symbole du christianisme européen, de l’un des lieux de culte chrétien les plus importants.
  • Dans un entretien sur Arte, paru le lendemain de l’incendie, Michel Barnier, à l’heure où la France et LREM soutiendraient sa possible candidature au poste du président de la Commission européenne, a parlé des racines chrétiennes de l’Europe.
Sources
  1. Le Pape François appelle « la bénédiction de Dieu sur les habitants de Paris », Vatican News, 16 avril 2019
  2. GRESSANI Gilles, Que signifie l’incendie de Notre-Dame ?, une conversation avec Olivier Roy, Le Grand Continent, 19 avril 2019
  3. ROY Olivier, L’Europe est-elle chrétienne ?, Le Grand Continent, 19 octobre 2018