Belfast. Une jeune journaliste nord-irlandaise de 29 ans, Lyra McKee, a été tuée par balle vendredi 19 avril lors d’affrontements à Londonderry, deuxième ville d’Irlande du Nord, située à la frontière, où des militants républicains célébraient le soulèvement indépendantiste survenu à Dublin en 1916. Une enquête sur le meurtre a été ouverte. La police nord-irlandaise suspecte un acte « terroriste » de la part de la « nouvelle IRA », groupe républicain dissident. Il s’agirait du deuxième meurtre lié, plus ou moins indirectement, au Brexit, après celui de la députée travailliste pro-Union européenne Jo Cox au cours de la campagne référendaire de juin 2016.

Lyra McKee n’était pas la cible première des terroristes, qui voulaient tuer ou blesser un membre des forces de police. Mais, comme le souligne l’Irish Times, il y avait un autre objectif : « l’idéal d’une Irlande du Nord meilleure, où deux communautés peuvent construire un avenir commun, comme le désire l’écrasante majorité. C’est cette vision que rejette une petite minorité »1.

Il y a exactement vingt-et-un ans, les différentes communautés d’Irlande du Nord ont pris la décision de renoncer à la lutte armée. La signature des accords dits du « Good Friday » ou du « Vendredi Saint », le 10 avril 1998, suite à trente ans de conflits entre l’Irlande catholique et la Grande-Bretagne protestante, entre armée républicaine irlandaise (IRA) et milices protestantes, avait réussi à endiguer le phénomène à travers la création d’institutions autonomes et le désarmement de la province2. Cette période, appelée « les troubles » – the Troubles – a été caractérisée par la violence de groupes paramilitaires, comme l’IRA et le UVF et par la mort d’au moins 3 532 personnes3.

Qu’est-ce que la nouvelle « IRA » et pourquoi Londonderry ? Il s’agirait d’un groupe de dissidents républicains hostiles aux accords du « Good Friday ». Le groupe est déjà sous investigation pour l’explosion d’une bombe, toujours à Londonderry, en février dernier4. Selon le Times, il s’agirait de la confluence de plusieurs groupes différents, à l’origine de l’envoi de colis suspects à Londres et Glasgow5. Lyra McKee, originaire de Belfast, récemment installée à Londonderry, se distinguait pour son intérêt pour des histoires liées à la période des Troubles mais relativement peu couvertes par la presse. Son dernier livre, Angels with blue faces, une investigation sur le meurtre de Robert Bradford, ministre méthodiste et député unioniste de South Belfast, tué par l’IRA en 1981, était en voie de publication6. Ville à majorité catholique, Londonderry, connue aussi sous le nom de Derry, est tristement célèbre pour le « Bloody Sunday » – au plus fort des « Troubles » – le 30 janvier 1972, jour où des soldats britanniques ont ouvert le feu sur des participants à une marche pacifique. Aujourd’hui, Londonderry souffre d’un taux de chômage et de pauvreté particulièrement élevé et d’un sous-investissement chronique et du manque d’une autoroute qui la connecte à Belfast et d’une université. Selon Politico, le Brexit pourrait être un facteur d’accélération du regain de violence dans cette zone7. Dans l’éditorial de son édition de samedi, The Times relevait que « la province a été depuis plus de deux ans sans gouvernement local, après le retrait du Sinn Fein suite à un scandale financier (…) et dans le même temps, le Brexit a creusé les divisions, avec des supporters du DUP (le parti unioniste allié de Theresa May, ndlr) ayant voté massivement pour quitter l’UE et les militants du Sinn Fein pour rester ».

C’est précisément la réouverture de ce conflit, à la frontière entre la République d’Irlande et la province britannique d’Irlande du Nord, que les négociateurs du Brexit souhaitaient éviter. En effet, avec la décision de Londres de sortir de l’Union, donc du marché unique et de l’union douanière, des contrôles aux frontières s’imposent comme nécessaires et le rétablissement d’une frontière dure devient possible. La solution du backstop, proposée par Michel Barnier et approuvée dans le plan que Theresa May et les 27 ont signé au mois de novembre et que la Première Ministre a plusieurs fois soumis au Parlement britannique, consiste en la mise en place d’un statut spécial pour l’Irlande du Nord, avec un alignement réglementaire sur le continent. C’est précisément sur la solution du backstop, par admission de la Première Ministre elle-même, que la négociation a coincé, d’où les demandes de délais et prévoient la mise en place du Brexit à la fin du mois d’octobre prochain. Le backstop est en effet extrêmement critiqué, à la fois par les unionistes irlandais (dont le parti, DUP, est essentiel à la majorité de Theresa May) et par les Brexiters les plus ardents, hostile à toute solution, même de recours, qui constituerait un obstacle à la pleine indépendance commerciale du Royaume-Uni.

Perspectives :

  • 23 mai : élections européennes au Royaume-Uni.
  • 31 octobre : sortie (prévue) du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Sources
  1. New Ira responsabile morte reporter, ANSA, 19 avril 2019.
  2. CARROLL Rory, WATERSON Jim, Lyra McKee : a proud and critical Northern Irish journalist, 19 avril 2019.
  3. Accord du Vendredi Saint, Encyclopédie Universalis.
  4. Irlande du Nord : avec le Brexit, les craintes d’un retour à la violence, HuffPost, 19 avril 2019.
  5. KELLY Ben, Good Friday Agreement : The peace deal that ended the Northern Ireland Troubles 20 years ago, The Independent, 21 janvier 2019.
  6. O’DWYER Peter, ROBINSON Matthew, SNAITH Emma, Lyra McKee shooting : journalist killed in ‘terrorist incident’ in Londonderry, The Times, 19 avril 2019.
  7. The Irish Times view on the death of Lyra McKee, The Irish Times, 19 avril 2019.