Santiago du Chili. Jeudi 11 avril 2019, le parti conservateur chilien de l’Union Démocrate Indépendante (UDI) a demandé au gouvernement de droite de Sebastián Piñera d’accélérer le débat sur le projet de loi1 pour réformer la Loi 18.314, dite « loi antiterroriste », retenue au Congrès depuis mars 2018. Le projet a été introduit par le président lui-même et vise à redéfinir la typologie terroriste criminelle pour une interprétation objective des faits, en plus de reconnaître que l’acte terroriste peut être commis par une personne et non plus seulement par une association2.

Depuis 2018, le gouvernement du président Sebastián Piñera souhaite réformer la Loi 18.314, instaurée en 1984 sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990) pour lutter contre les vagues de protestation et, particulièrement, pour éradiquer les groupes armés insurrectionnels. Néanmoins, bien que le Chili ne soit pas confronté à des menaces directes de terrorisme, la loi antiterroriste a commencé à être appliquée aux peuples autochtones accusés d’actes de vandalisme et de dommages à la propriété privée en 2001 sous le gouvernement de gauche du président Lagos3. Depuis, le nombre de Mapuche jugés pour des crimes déjà inscrits dans le Code pénal a considérablement augmenté. Selon les données disponibles auprès du ministère public, entre 2008 et 2012, 843 crimes présumés commis par les Mapuche ont fait l’objet d’une enquête dans le cadre du « conflit Mapuche »4. L’utilisation de la loi n ° 18.314 contre les peuples autochtones a été contestée par les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les droits des peuples autochtones à maintes reprises (2003, 2009 et 2013).

Les Mapuches constituent le groupe autochtone le plus important du Chili. Selon le recensement fait en 20175, il y aurait 1 745 147 Mapuche, représentant 79,8 % de la population autochtone totale. Malgré cela, le Chili est le seul pays d’Amérique du Sud à ne pas reconnaître officiellement les peuples autochtones dans sa Constitution de 1980. La « pacification de l’Araucanie », dirigée par l’État en 1862, a entrainé la défaite et la perte de leurs terres, ces dernières furent transférées à des propriétaires chiliens et étrangers à des fins personnelles ou commerciales. Depuis, les Mapuche ont été relégués sur 6,4 % de leur territoire d’origine, ce qui a contribué à leur appauvrissement. Selon le Ministère du Développement social, 30,8 % de la population autochtone vit dans la pauvreté, alors que cela est le cas pour 19,9 % de la population non autochtone au Chili6.

Depuis les années 1990, certains Mapuche ont eu recours à des formes de protestation violentes pour faire valoir leurs revendications telles que la violation de la propriété privée, des incendies de forêts, machinerie et véhicules, conduisant à la répression policière7. La participation de la police à des perquisitions et son recours excessif à la force – avec un nombre important de Mapuche arrêtés arbitrairement, battus en garde à vue, blessés ou tués – a déclenché une spirale de violence qui a renforcé la criminalisation de la demande autochtone. La réponse de l’État chilien aux différends et aux manifestations territoriales des Mapuche est devenue disproportionnée et va à l’encontre des normes internationales. La création d’une force spéciale de police (Comando Jungla) formée à l’étranger pour prévenir et combattre la violence en milieu rural et les actes de terrorisme fait preuve de l’ampleur de la criminalisation et de la militarisation du soi-disant conflit Mapuche de la part de l’État chilien.

Ainsi, le Chili a été condamné par l’arrêt du 24 mai 2014 de la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) pour l’application discriminatoire de cette loi dans le cadre de l’affaire Norín Catriman et autres8 contre le Chili, ce qui a marqué un tournant dans l’affaire. La Cour a conclu que le Chili avait violé les droits fondamentaux garantis par la Convention américaine des droits de l’homme de 1969, et notamment les principes fondamentaux relatifs aux droits procéduraux, civils et politiques de sept membres du peuple Mapuche et d’un défenseur des droits de l’homme qui réclamaient la restitution de leurs terres ancestrales.

Néanmoins, bien que le Chili ait ratifié la Convention 169 de l’OIT, voté en faveur de la Déclaration des droits de l’homme, ou malgré les multiples remarques de la CIDH, les droits des peuples autochtones ne sont toujours pas reconnus. La loi antiterroriste a été invoquée à plusieurs reprises au cours des dernières années9. L’affaire Luchsinger-Mackay est l’une des plus controversées : des propriétaires d’un bien sur lequel les Mapuche ont réclamé des droits fonciers ont été brûlés à l’intérieur de leur maison. Parallèlement à cela, la présence du Comando Jungla depuis juin dernier dans la zone, équipé de chars, d’hélicoptères, de véhicules blindés, de drones et de caméras thermiques, n’a fait qu’engendrer une recrudescence des tensions qui vise à provoquer indûment les Mapuche. L’exemple le plus concret est « l’Affaire Ouragan » de 201710 : la police a manipulé des preuves avec l’introduction frauduleuse de messages sur les téléphones portables, pour blâmer et juger par le biais de la loi antiterroriste huit Mapuche qui auraient été impliqués dans une association terroriste dans le sud du Chili. La violence exercée par la police a également été révélée en novembre 2018 après le meurtre du jeune Mapuche Camilo Catrillanca, grâce aux caméras attachées aux casques des membres du Comando Jungla11.

Perspectives :

  • La réforme de la loi 18.314 demeure extrêmement urgente, et bien que le débat soit en cours, elle ne s’est pas encore concrétisée. Cependant, les Mapuche risquent d’être encore plus préjudiciables étant donné l’intention de la réforme de renforcer davantage les mesures visant à protéger l’identité et la sécurité des témoins ; ou la proposition selon laquelle des crimes terroristes peuvent être commis non seulement par des groupes organisés, mais également par des individus.
  • La réponse de l’État chilien et la manière de procéder aux protestations et revendications des Mapuche ont transformé ce conflit social en conflit judiciaire. En dépit des multiples avertissements de la communauté internationale, l’application de la loi antiterroriste ainsi que la répression disproportionnée de la police sur les peuples Mapuche continuent de violer leurs droits fondamentaux. Cela suggère qu’il existe une discrimination lorsqu’il s’agit de juger les Mapuche pour des crimes qui sont déjà établis dans le Code pénal et qui ne sont pas considérés comme des actes terroristes par les normes internationales. La reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones et un changement dans la manière de traiter les revendications des Mapuche sur leur droit à la terre deviennent de plus en plus urgents afin d’éviter une nouvelle condamnation de la part des organismes internationaux.
  • Jusqu’à présent, les médias européens ont abordé le sujet à plusieurs reprises et il y a eu des rassemblements dans un certain nombre de villes. Aucun pays européen ne s’est positionné, que ce soit unilatéralement ou à travers une résolution commune, par rapport à l’utilisation de cette loi. Pourtant, des députés européens, notamment du regroupement Verts/ALE, ont posé des questions liées à ce sujet avec demande de réponse écrite à la Commission et à la Vice-Présidente de la Commission/Haute Représentante de l’Union, en 200812 et en 201213.
Sources
  1. UDI solicita al Gobierno acelerar discusión de proyecto de Ley Antiterrorista, Bío Bío Chile, 11 avril 2019.
  2. Los 11 cambios a la Ley Antiterrorista que impulsará el Gobierno de Piñera, El Mercurio Online (EMOL), 23 mars 2019.
  3. Human Rights Watch. Indebido Proceso. Los juicios antiterroristas, los tribunales militares y los Mapuche en el Sur de Chile, 2004
  4. Fiscal nacional y conflicto mapuche : 843 investigaciones penales en los últimos 5 años, El Mercurio Online (EMOL), 16 janvier 2013.
  5. Instituto Nacional de Estadísticas. (2018). Resultados CENSO 2017.
  6. Instituto Nacional de Estadísticas. (2018). Resultados CENSO 2017.
  7. Human Rights Watch, Indebido Proceso. Los juicios antiterroristas, los tribunales militares y los Mapuche en el Sur de Chile, 2004.
  8. Inter-American Court of Human Rights, Case of Norín Catrimán et al. (leaders, members and activist of the Mapuche Indigenous People v. Chile). Judgement of May 14, 2014 (merits, reparations and costs).
  9. Amnesty International, Pre-Juicios Injustos : Criminalización del Pueblo Mapuche a través de la Ley “Antiterrorista” en Chile, 2018.
  10. Operación Huracán : testimonios y confesiones confirman que fue un montaje, CIPER Chile, 13 Mars 2018.
  11. Camilo Catrillanca : quién era el joven “guerrero mapuche” cuya muerte por un disparo de la policía generó protestas en Chile, BBC Mundo, 16 novembre 2018.
  12. Parlement Européen, Violations des droits du peuple mapuche au Chili, 15 janvier 2008.
  13. Parlement Européen, VP/HR — Les droits des Mapuche, 13 janvier 2012.