Beyrouth. Depuis sa prise de fonctions, le nouveau Ministre du travail Camille Abousleiman a plusieurs fois affirmé vouloir réformer le marché du travail libanais en subventionnant la création d’emploi, en instaurant une priorité aux nationaux dans l’accès au marché du travail, et en luttant contre le travail illégal1. Au croisement de ces chantiers se trouve le “kafala system”, que le ministre a promis de “briser”2. De l’arabe “garantie” ou “parrainage”, le système “kafala” consiste à lier l’obtention d’un visa d’entrée à la caution d’un particulier ou d’une entreprise qui emploiera l’intéressé une fois sur place. À l’instar des systèmes juridiques des Etats du Golfe3, le droit libanais prévoit l’application de cette règle aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de ressources économiques pour obtenir un visa d’entrée classique. Les nombreuses femmes qui entrent au Liban de cette manière sont entièrement dépendantes des personnes qui les emploient et qui décident unilatéralement de leurs conditions de travail et de rémunération. En effet, ce type de lien de subordination échappe entièrement au droit du travail local : malgré l’importance numérique des personnes concernées — 250 000 auraient été identifiées en 2018, soit l’équivalent de plus de 4 % de la population du pays4 —, le Liban n’a pas ratifié la convention C189 de l’OIT relative à la prise en compte du travail domestique5 ; de plus, l’article 7 du code du travail libanais dispose que « sont exceptés de la présente loi : 1) les domestiques dans les domiciles des particuliers »6.

Cette réglementation officielle va de paire avec des pratiques officieuses telles que la confiscation systématique du passeport7, de sorte que l’impossibilité du retour dans le pays d’origine s’ajoute à l’absence d’autonomie sur le sol libanais. Parmi les nombreux récits d’abus sexuels, de sous-alimentation, de torture et de suicide recensés par la presse ou des organisations dédiées8, le cas d’une femme éthiopienne ayant tenté de se suicider pour fuir les mauvais traitements infligés par une célèbre créatrice qui l’employait est devenu un symbole : en 2018, alors qu’elle se remettait de ses blessures sur un lit d’hôpital, une caméra est venu recueillir son démenti en présence d’une de ses tortionnaires, chez laquelle elle a par la suite été renvoyée sans que les autorités jugent bon d’intervenir9. En mars 2019, la mise en ligne sur Facebook d’une annonce tendant à la vente d’une “employée de maison” a ravivé l’indignation, sans que la responsable ne soit inquiétée au-delà d’une audition sans conséquence par l’Inspection du travail10.

La passivité du Ministère du travail rencontre la proactivité du Ministère de l’intérieur, qui continue à endosser le système “kafala” dans le cadre de la politique des visas. Ainsi, en première page du site internet de la Sûreté nationale, une section dédiée aux employeurs de travailleuses domestiques indiennes propose aux particuliers d’obtenir une accréditation afin de faciliter l’obtention d’un visa au profit de leur future employée. La situation est telle que certains Etats interdisent à leurs ressortissantes de venir travailler au Liban dans le secteur des services domestiques : c’est le cas de l’Afrique Centrale, de l’Indonésie, du Ghana, de la Sierra Leone et de l’Egypte11.

Face à ces enjeux, les déclarations de Camille Abousleiman semblent tantôt trop abstraites, tantôt mal ciblées. À ce stade, on ne peut qu’espérer que les mesures “radicales et agressives”12 qu’il prévoit de faire adopter pour rationaliser les comptes sociaux du pays soient au moins autant tournées vers la casse du système “kafala” que vers la mise au travail des libanais. Un premier pas symbolique serait la reconnaissance du l’Union des travailleurs domestiques du Liban, première organisation syndicale de travailleurs migrants et travailleuses migrantes que les autorités libanaises avaient déclarées illégale en 201513. Il s’agirait ensuite d’acter une véritable coopération entre Ministères du travail et de l’intérieur aux fins de lutte contre l’esclavage domestique, laquelle n’a pour l’heure pas été esquissée.

Perspectives

  • A l’heure où l’Union célèbre ses 40 ans de présence au Liban et considérablement augmenté ses financements en faveur du pays, le partenariat qui les lie n’a toujours pas intégré la lutte contre le système kafala parmi ses objectifs.
  • En dépit de la percée médiatique du système kafala, les discussions entre l’Union et le Liban se focalisent sur les perspectives de retour des réfugiés syriens.