Washington. Lundi 8 avril, la Maison Blanche a annoncé que le corps des Gardiens de la révolutions était ajouté à la liste des entités terroristes. Dans les faits, cela revient à considérer la véritable armée iranienne, et l’un des principaux acteurs économiques du pays, comme une organisation terroriste, rendant tout commerce avec l’Iran extrêmement complexe, et des fuites en avant militaires plus probables.

Le triomphe de la ligne néo-conservatrice

La décision de Donald Trump s’explique par une stratégie partisane consistant à s’opposer systématiquement aux décisions de l’administration Obama1, par un alignement sur les alliés historiques des Etats-Unis dans la région (Israël et Arabie saoudite) qui témoigne d’un retour à une politique régionale traditionnelle (la force Al-Qods des Gardiens de la révolution avait déjà été désignée comme entité terroriste sous G. W. Bush2) et par le triomphe de la ligne néoconservatrice de John Bolton sur la ligne plus rationaliste et réaliste.

L’Europe, la Russie, et la Chine, contraints de suivre ou s’adapter

Cette décision a été en fait plutôt bien reçue dans la plupart des pays européens, comme la France, où il y a, au sein de la haute administration, beaucoup de personnes qui défendent des positions radicales sur l’Iran. Dans l’ensemble, il y a un consensus dans les appareils sécuritaires, dans les “Etats profonds” occidentaux sur la “menace iranienne”, et sur l’inutilité de tout dialogue avec la République islamique d’Iran.

On peut se demander si les banques familiales ou régionales européennes, qui ont toujours des liens financiers avec l’Iran, vont continuer à travailler avec l’Iran. On peut aussi se demander si le mécanisme INSTEX va fonctionner3. On dit désormais qu’il faudrait que les Iraniens fassent leur part du travail pour le faire fonctionner, mais peu de gens, dont beaucoup d’Européens, y croient encore. Les représentants d’INSTEX et de Bercy souffrent en effet d’un manque de crédibilité auprès des milieux d’affaires français quand ils défendent le mécanisme.

En somme, les partisans de la ligne dure contre l’Iran au sein des pays européens sont maintenant confortés face aux partisans du dialogue et de l’ouverture. Mais cette dynamique était déjà à l’œuvre avant en raison de l’affaiblissement du président Rouhani lors du second mandat face au Guide. C’est cette même dynamique politique qui avait déjà freiné l’ouverture voulue en son temps par Khatami entre 1997 et 2005.

Du point de vue des Russes, il s’agit d’une opportunité diplomatique pour se présenter comme la puissance pragmatique contre la position américaine idéologique, et se poser en médiateur en Syrie, au Yémen, en Irak. Le pouvoir russe est cependant dans une situation délicate, puisque Moscou a besoin de la carte iranienne pour compenser son déficit profond de puissance face aux Etats-Unis, mais ne peut pas risquer un refroidissement avec les Etats-Unis au nom de l’Iran4.

Cette décision va également renforcer une tendance actuelle consistant pour la République de Chine à limiter ou du moins à tenter de minimiser leurs relations économiques avec l’Iran. Huawei a ainsi déclaré, lors des négociations sur la 5G en Europe, qu’il allait réduire son exposition sur le marché iranien5

Ainsi, l’exemple du changement de politique américaine sur la question iranienne démontre la capacité des Etats-Unis à définir l’agenda stratégique occidental. Le monde des affaires européen respecte les normes américaines, et de ce fait toute décision américaine modifie de fond en comble le destin politique et économique de l’Iran. In fine, il apparaît une impuissance européenne à définir une ligne indépendante des Etats-Unis s’appuyant sur les capacités économiques du secteur privé européen.

Incertitude militaire et absence de rationalité stratégique

Sur le terrain, on ne sait pas si les forces américaines auront ordre de tirer ou non sur les entités considérées comme terroristes. Pour ce cas précis, les services de renseignement américains et le Pentagone considéraient que la décision était contraire aux intérêts stratégiques du pays. D’un autre côté, la polarisation va fragiliser un certain nombre de pays : notamment en Afghanistan et en Irak. Cela revient aussi à renforcer la capacité d’autofinancement des Gardiens, par leurs réseaux d’influence au Moyen-Orient, et la dépendance de la population à leur égard.

En Iran, l’échec de la ligne Rafsandjani

De ce point de vue-là, le soutien unanime de la presse, en Iran, aux Gardiens de la révolution, avec notamment le journal Etémâd, considéré comme modéré, qui titre en Une “Je suis aussi un Gardien”6 , révèle la vraie nature du courant réformiste en Iran : la semi-opposition, qu’incarnait l’ancien président Hâchémi Rafsandjani, pro-business, prêt à discuter sur la forme mais pas sur le fond. Aujourd’hui, cette ligne politique, inspirée du modèle chinois, à la fois idéologique et pro-business, a échoué en raison d’une absence de consensus au sein des élites iraniennes.

Ainsi, quand l’essentiel est en jeu, c’est à dire la survie du système, toutes les parties du régime s’unissent, et on constate la puissance écrasante des Gardiens de la révolution : leur présence au niveau de l’appareil d’Etat et des médias, des services de renseignement, la peur qu’ils suscitent. Les discours qui visent et critiquent les Gardiens sont superficiels au sein du nezam (système) et s’expliquent principalement par des visées électorales conjoncturelles.

La décision trumpienne pousse l’Etat dans la normalisation autoritaire du régime à laquelle on assiste depuis 2009. Il s’agit d’une prophétie autoréalisatrice qui oblige l’Iran à se refermer et à ressembler à l’image que s’en font les Etats-Unis.

Sources
  1. TRUMP, Donald, “Obama’s nuclear deal with the Iranians will lead to a nuclear arms race in the Middle East. It has to be stopped.”, Twitter, 28 juillet 2015
  2. Department of Treasury, United States of America, Fact Sheet : Designation of Iranian Entities and Individuals for Proliferation Activities and Support for Terrorism, 25 octobre 2007
  3. Cyrille Amand, Conférence de Munich, Le Grand Continent, 3 mars 2019
  4. THERME, Clément, Les relations entre l’Iran et la Russie depuis 1979, 2012
  5. “Huawei plaide non coupable dans une affaire de sanctions contre l’Iran”, ZNet, 15 mars 2019.
  6. “من هم یک سپاهی هستم” Sépâh est le diminituf pour Sépâh-é Pâsdârân-é Enqélâb-é Eslâmi” (Corps des Gardiens de la Révolution islamique).