Munich. Dans la nuit de lundi 25 à mardi 26 février, Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères de l’Iran et acteur-clé de l’accord sur le nucléaire de 2015, a annoncé sa démission. Avant que le président Rohani ne la refuse 48 heures plus tard, arguant que ce n’était “pas dans l’intérêt du pays de l’accepter”.
Quelques jours plus tôt, lors de la conférence de Munich, M. Zarif s’était montré particulièrement avenant, dans un anglais parfait. Le ministre iranien s’est positionné en s’engouffrant dans la brèche ouverte des relations entre Américains et Européens. Javad Zarif s’est montré à la fois particulièrement critique de la politique du président américain Donald Trump, et demandeur du soutien européen pour sauver l’accord. “L’Europe doit vouloir se mouiller pour pouvoir naviguer contre le courant unilatéraliste américain” a-t-il déclaré.
Ensuite, le ministre iranien a laissé entendre que la défense de l’accord existant (le JCPOA – Joint Comprehensive Plan of Action) était une priorité pour l’Iran, mais une priorité fragile. En d’autres termes, l’Iran fait comprendre que sa survie dépend aussi des Iraniens, qui en attendent une vraie normalisation des rapports entre l’Iran et le monde.
La stratégie américaine est d’isoler l’Iran sur le plan diplomatique et de freiner sa croissance économique par le rétablissement de sanctions.
Deux raisons ont été mises en avant par l’administration américaine pour justifier du retrait de l’accord. D’abord, Donald Trump souhaitait que certaines clauses temporaires prévues dans l’accord lui-même devinssent permanentes. C’est le cas de certaines limitations imposées à l’Iran de développer son nucléaire civil, alors que le Traité de non-prolifération (TNP) le permet expressément.
Ensuite, le président américain souhaiterait parvenir à un accord avec l’Iran qui limiterait le développement de ses missiles balistiques. Ces missiles sont un instrument direct de projection de puissance sur le théâtre régional, qui compense également la faiblesse des forces aériennes conventionnelles iraniennes. Le 2 février dernier – à l’occasion du quarantième anniversaire de la Révolution islamique – l’Iran avait annoncé avoir testé avec succès un missile de croisière d’une portée de plus de 1350 km (1). Alors que ce missile sol-sol est présenté comme une arme exclusivement défensive par Téhéran, il est au contraire perçu comme très inquiétant par ses voisins, Israël et Arabie Saoudite en tête.
Cela révèle une dissension profonde entre les visions stratégiques américaine et iranienne de la région. D’un côté, l’Iran se veut naturellement une puissance régionale. De l’autre côté, les États-Unis voient les activités de Téhéran comme profondément déstabilisatrices pour la région.
Contrairement à ce que le discours de Javad Zarif à Munich avait pu laissé entendre, les Américains ne sont pas seuls sur leur ligne offensive contre l’accord de 2015. Washington est le navire amiral de la croisade contre l’Iran et sa politique nucléaire, mais cette croisade n’est pas solitaire.
Gordon Sondland, ambassadeur américain près l’Union européenne, s’est montré critique de la persistance des Européens à vouloir sauver l’accord (2). Il a également menacé les entreprises européennes qui continuent de commercer avec l’Iran en dépit du rétablissement des sanctions américaines de ne plus pouvoir développer leurs activités aux États-Unis. Malgré cela, les Européens sont demeurés unis.
L’unité des Européens dans la défense de l’accord sur le nucléaire de 2015 ne les empêche pas pour autant de se montrer critiques de l’Iran sur d’autres sujets (3). Le 4 février dernier, le Conseil européen avait exprimé publiquement sa préoccupation vis-à-vis du rôle actif de l’Iran dans les tensions régionales, notamment en Syrie et au Liban. Le Conseil a aussi critiqué le lancement de missiles balistiques iraniens, qui contribuent directement à “l’instabilité régionale”.
Récemment, les Pays-Bas et le Danemark ont aussi accusé l’Iran d’avoir fomenté des actes hostiles sur leurs territoires : l’assassinat d’activistes aux Pays-Bas en 2015 et 2017, la tentative d’assassinat d’une figure de l’opposition au Danemark en 2018 ou l’attaque finalement déjouée sur des dissidents iraniens près de Paris la même année.
Pourtant, les Européens ont refusé de traiter ces affaires sur le même plan que l’accord sur le nucléaire. Pour cela, ils ont créé un groupe séparé, l’E4 (France, Allemagne, Royaume-Uni et Italie) – le groupe inclut donc l’Italie, qui n’était pas présente dans le groupe E3 (France, Allemagne et Royaume-Uni) qui avait négocié l’accord de 2015 aux côtés de la Russie, de la Chine, des Etats-Unis et du Service d’action extérieure de l’UE. La création du groupe E4 traduit la volonté des Européens de donner une suite aux critiques formulées à l’encontre de l’Iran ; mais il traduit aussi leur volonté de faire front commun sur la question du nucléaire, quitte à se distancier fortement des États-Unis.
À cet effet, la création début février de mécanismes européens pour commercer avec l’Iran sans tenir compte des sanctions américaines trouve toujours son sens. L’INSTEX (Instrument in Support of Trade Exchanges) devrait permettre des transactions entre l’Iran et des compagnies européennes dans une monnaie autre que le dollar, échappant ainsi à l’extra-territorialité (particulièrement agressive) de la législation américaine.
Ainsi, la survie de l’accord sur le nucléaire iranien est fonction de trois dynamiques contradictoires : farouche hostilité des Américains, soutien assez franc des Européens et soutien conditionnel des Iraniens. La conférence de Munich sur la sécurité a affirmé ces tendances, et laisse transparaître une question en filigrane : la volonté des Européens et des Iraniens de ne pas abandonner l’accord traduit-elle aussi le pari – sinon l’espérance – de la non-réélection de Donald Trump en 2020 ?
Sources :
- Iran : “succès” du test d’un missile de croisière, Le Figaro, 2 février 2019.
- HERSZENHORN David M., EU’s Iran fight is not about Iran (or Trump), Politico.eu, 30 janvier 2019.
- Conseil de l’Union Européenne, Communiqué de presse : Iran : le Conseil adopte des conclusions, 4 février 2019.
Cyrille Amand