New York, Montréal, Toronto. Les chercheurs en informatique Yann Le Cun, Yoshua Bengio et Geoffrey Hinton se sont vus décerner le prix Turing le mercredi 27 mars dernier1. Équivalent informatique du prix Nobel, cette récompense est remise chaque année par l’Association for Computing Machinery, basée à New York. Il vient récompenser la recherche menée depuis la fin des années 80 par les membres de ce trio, considérés comme les pères de l’apprentissage profond – une catégorie d’algorithmes qui a notamment révolutionné le traitement des images et du langage naturel, et dont la portée n’est pas encore comprise aujourd’hui.

Longtemps marginalisée car leurs algorithmes n’étaient pas assez fondés théoriquement, la mafia canadienne – surnom donné au trio lorsqu’il travaillait à Toronto à “l’abri” de ses contempteurs – aura su persévérer et démontrer la puissance de l’apprentissage profond. L’acmé de leur parcours de chercheur se situe probablement en 2012, lorsque leurs méthodes écrasèrent la concurrence d’ImageNet, la plus grande compétition de traitement des images du moment2. L’algorithme victorieux avait été implémenté par un tout jeune étudiant de Hinton n’ayant aucune expérience de ce domaine, prouvant par là l’universalité de ce type d’approche.

Depuis, les applications de l’apprentissage profond – ou Deep Learning – fleurissent. Ainsi, le programme AlphaGo de Google DeepMind bénéficia largement de cette avancée, lui permettant de vaincre le champion de Go Lee Sedol et de signer ainsi la plus retentissante victoire d’une machine depuis l’affrontement entre Kasparov et DeepBlue aux échecs. C’est en somme cette découverte qui remit le terme “intelligence artificielle” sur toutes les bouches et que de nombreux entrepreneurs tentent de transformer en entreprises viables.

Depuis, le trio s’est séparé : le britannico-canadien Hinton et le français Le Cun travaillent respectivement pour Google et Facebook, tandis que le canadien Bengio s’est installé à Montréal pour fonder un immense laboratoire dédié à l’intelligence artificielle, le MILA. Si les liens à l’Europe de ce trio (Le Cun a été formé en France, Bengio y a passé son enfance tandis que Hinton a été formé au Royaume-Uni) peuvent être une source de fierté pour les universités européennes, peu d’entreprises du continent sont parvenues à se saisir de ces technologies et les principaux hubs dédiés sont aujourd’hui à Montréal3 et San Francisco plutôt qu’à Edinburgh et à Paris. Si l’Europe a déjà manqué le tournant de la data, comment faire en sorte qu’elle soit susceptible de créer et faire croître chez elle les technologies qui façonneront le monde de demain ?

Perspectives :

  • Les différentes stratégies IA européennes prévoient la mise en place de hubs dédiés à l’IA. En France, ce seront les Instituts 3IA dont la composition devrait être rendue officielle la semaine prochaine.
  • Les GAFAM feront partie intégrante de ces hubs. Ainsi, Facebook et Google ont récemment installé des laboratoires à Paris, tandis que Google DeepMind inaugure son nouveau Q.G. à Londres.
Sources
  1. LAROUSSERIE David, Le prix Turing récompense trois pionniers de l’intelligence artificielle (IA), Le Monde, 27 mars 2019
  2. CARDON Dominique, COINTET Jean-Philippe et MAZIERES Antoine, La revanche des neurones. L’invention des machines inductives et la controverse de l’intelligence artificielle, Réseaux 2018/5 (n°211), p. 173-220.
  3. LINDEMAN Tracy, How Montreal became the world’s leading AI and deep learning hub, IBM, 9 mai 2017.