Strasbourg. Le 5 juillet 2018, le Parlement Européen avait rejeté la première version de la Directive Copyright, par 318 votes contre le texte proposé et 278 en faveur de celui-ci 1. En conséquence, les négociations entre institutions européennes n’avaient pu débuter et le texte avait été renvoyé à la Commission pour être revu. En septembre 2018, un nouveau vote du Parlement avait cette fois-ci donné son feu vert pour que commencent les négociations, processus qui à présent touche à son terme 2, spécialement depuis le vote du 26 mars, dans lequel 348 eurodéputés ont validé cette nouvelle version de la Directive Copyright, contre 274 qui l’ont rejetée 3.

En d’autres termes, les 40 voix d’avance du groupe opposé au texte ont laissé place, huit mois plus tard, à 74 voix à l’avantage de celui qui le soutient. Les modifications apportées au document dans l’intervalle, qui feront l’objet d’une brève la semaine prochaine, expliquent sans nul doute une bonne partie de cette évolution. En attendant, voici d’où provient ce différentiel de 114 voix entre les deux votes que nous avons choisi de comparer :

Barthelemy Michalon | GEG. Source  : Parlement Européen

Il en ressort donc que les groupes des sociaux-démocrates (S&D) et les libéraux (ALDE) contribuent, à eux deux, à plus de 60 % du différentiel en question.Le fait que l’augmentation du nombre de votes en faveur du texte ne se traduise pas mécaniquement par une diminution des votes contre celui-ci s’explique par les variations observables en matière d’abstention et de non-participation au scrutin, comme reflété dans le graphique suivant :

Note  : «  A&A  » désigne l’ensemble formé par les eurodéputés qui soit se sont abstenus, soit n’ont pas pris part au vote. Barthelemy Michalon | GEG. Source  : Parlement Européen

Il est notable que dans six des neufs groupes, le pourcentage de parlementaires opposés au texte est resté constant. Néanmoins, dans trois de ces groupes-ci, le pourcentage de votes en faveur a quand même augmenté, du fait d’une plus grande participation de leurs membres. C’est le cas des partis considérés comme conservateurs : le PPE (+11 points), l’ECR (+9 points) et l’EFDD (+7 points). Dans ces trois cas, l’évolution en faveur du texte est à mettre sur le compte d’une plus forte mobilisation des eurodéputés qui au départ étaient soient indifférents, soit indécis sur le sujet précis de la directive. Les efforts de lobbying qui ont accompagné ce projet législatif ne sont donc pas restés vains 4, même si au final ce sont encore 17 % des eurodéputés qui n’ont pas exprimé de vote (contre 20.5 % lors du vote de juillet 2018).

En revanche, dans les deux groupes qui ont le plus contribué à combler le différentiel de voix – l’ALDE (centre) et le S&D (sociaux-démocrates) – l’augmentation des votes “pour” la directive s’est réalisée en parallèle d’un recul des votes “contre” dans une proportion semblable. Dans ces cas, on peut parler d’un revirement de la part d’une fraction significative des membres de chaque faction, ce qui n’a pas dû se faire sans heurts en interne. Lors du dernier vote, une courte majorité des eurodéputés estampillés ALDE et S&D ont approuvé le texte, alors qu’ils n’étaient respectivement que 34 et 43 % à en avoir une vision positive en juillet 2018.

Ce qui nous mène à soulever un intéressant paradoxe : ce sont les évolutions au sein des deux groupes qui sont aussi les plus divisés en interne sur le sujet de la Directive Copyright qui ont finalement été décisives pour que ce texte soit approuvé. Paradoxe qui n’est pas le premier dans cette bataille législative, qui a vu des rivaux traditionnels – les défenseurs de l’Internet libre et les géants américains du numérique – défendre une même position contre la Directive Copyright. Mais même si le parcours législatif semble être très proche d’atteindre son terme, le plus dur reste probablement à venir : la mise en œuvre de cette réforme aussi ambitieuse que controversée.

Perspectives :

  • Le 9 avril, le Conseil de l’Union votera sur ce texte, et l’approuvera sans doute.Les États membres auront alors deux ans pour mettre en œuvre ses dispositions, ce qui s’annonce difficile tant le sujet est complexe et les intérêts constitués influents.
Sources
  1. Parlement Européen, Roll-call votes, 5 juillet 2018
  2. KAYALI Laura, European Parliament approves overhaul of online copyright rules, Politico.eu, 26 mars 2019.
  3. Parlement Européen, Roll-call votes, 26 mars 2019
  4. Parlement Européen, Roll-call votes, 5 juillet 2018