New Delhi. Ce 27 mars, l’annonce inattendue de la part du premier ministre indien Narendra Modi du premier test de missile antisatellite (Asat) par New Delhi représente un moment historique : l’Inde devient membre du groupe restreint des nations possédant la capacité technique de détruire un satellite ennemi, avec les États-Unis, la Russie et la Chine. L’exercice, nommé « Mission Shakti », suivait un scénario de type hit-to-kill  : un missile, dépourvu de charge explosive, tiré depuis la terre a détruit un satellite par la force de son impact, à 300 km de la surface terrestre 1.

Soulignant l’importance de l’évènement (« l’Inde est une superpuissance spatiale ») et invoquant des impératifs de sécurité nationale, le discours de dix minutes de Modi s’est accompagné d’une déclaration publiée par le ministère des Affaires étrangères détaillant la position du gouvernement. Dans le texte, le gouvernement indien assure ne pas avoir « l’intention d’entrer dans une course à l’armement dans l’espace » et « soutenir les efforts internationaux pour renforcer la sécurité et l’usage pacifique de l’espace ». En outre, fort de cette nouvelle responsabilité, le gouvernement entend jouer un rôle central dans l’écriture du droit international pour la prévention de la guerre dans l’espace 2.

Cet essai a été interprété par de nombreux observateurs comme une démonstration de force en période préélectorale pour Modi, en vue des élections législatives qui commenceront le 11 avril. Il faut y ajouter des considérations stratégiques : au regard de la militarisation progressive de l’Asie, l’essai Asat doit avant tout être interprété comme une force de dissuasion vis-à-vis de la capacité offensive de Pékin. « Les guerres spatiales n’appartiennent pas qu’à la science-fiction », écrit Brahma Chellaney, professeur d’études stratégiques au centre pour la recherche politique de New Dehli. « Les États-Unis, la Russie et la Chine continuent de développer des armes antisatellites : l’espace est en train de devenir un vrai champ de bataille et les capacités spatiales prennent une importance cruciale » (1). Dans ce contexte, deux facteurs ont pesé de manière déterminante dans la décision de New Dehli de développer ses propres capacités antisatellites : d’une part, les rapports toujours plus étroits entre la Chine et le Pakistan (ennemi historique de l’Inde, et avec lequel les tensions ont récemment recrû à propos du Cachemire) ; d’autre part, l’isolement relatif de l’Inde dans la course à l’espace (contrairement, par exemple à l’Australie et au Japon, protégés par la défense américaine). Chellaney explique : « sans développer sa propre capacité terrestre de dissuasion, l’Inde risquait de voir, en cas de conflit, un adversaire comme la Chine abattre aussitôt un satellite indien. Pour défendre ses satellites, l’Inde a dû « agir seule » pour dissuader l’usage des missiles chinois » 3. Il s’agirait d’une stratégie développée par l’Inde fin 2007, année du premier lancement d’Asat par la Chine.

Ainsi, cet essai indien montre à quel point l’espace devient toujours plus un champ de confrontation auquel s’appliquent les concepts traditionnels de la dissuasion et de la stratégie. De plus, la course aux armements spatiaux révèle l’absence d’un droit international de l’espace partagé et de la capacité de le faire appliquer. Comme le rappelait sur Twitter Bruno Tertrais de la Fondation pour la recherche stratégique, si l’expérimentation chinoise de 2007 avait été condamnée avec force par les États-Unis et l’Europe, la réaction qui prévaut ces jours -ci quant à l’essai indien est bien le silence 4. Prise d’acte d’une nouvelle normalité, ou intérêts stratégiques ?

Perspectives :

  • 11 avril – 19 mai : élections législatives qui désigneront le nouveau parlement indien.
  • Dans ce contexte de course aux armes spatiales, la rédaction d’un traité international se fait de plus en plus urgente, afin que l’espace demeure un lieu pacifique, comme l’a lui-même revendiqué le gouvernement indien…

Giovanni Collot

Sources
  1. SALAZAR Dolis Elin, India’s Anti-Satellite Missile Test Is a Big Deal. Here’s Why., Space, 30 mars 2019.
  2. Ministère des Affaires Étrangères indien, Speech by Prime Minister on  »Mission Shakti », 27 mars, 2019.

  3. CHELLANEY Brahma, The looming specter of Asian space wars, Nikkei Asian Review, 29 mars 2019.
  4. TERTRAIS Bruno, Tweet du 27 mars 2019.