La Haye. « La chouette de Minerve déploie ses ailes à la tombée du jour. »

C’est par une allusion à Hegel que Thierry Baudet, 36 ans, docteur en histoire et désormais chef du premier parti des Pays-Bas à l’échelon régional, a commencé son discours de victoire 1. Baudet y tire d’un ton volontiers emphatique le portrait d’un Occident en déclin qui fait face selon lui à deux menaces fondamentales : l’« immigration de masse » et l’écologie. Une écologie qualifiée de « grandiose hérésie » et de « théologie politique », qu’il accuse de « vénérer […] une idole, la transition ». D’un ton non moins emphatique, le chef du parti néo-nationaliste se pose comme le porte-étendard d’une « renaissance » civilisationnelle qui viendrait interrompre la décadence de « notre monde boréal », c’est-à-dire essentiellement de l’Occident blanc et chrétien. La figure de Baudet, qui se pose volontiers comme un intellectuel et un dandy dans un champ populiste et nationaliste peu coutumier de ce type d’attitudes, peut certes surprendre. Mais son parti, le Forum pour la Démocratie (FvD), n’en est pas moins sorti en tête des élections provinciales du 20 mars, surprenant une grande partie des observateurs.

Les élections provinciales néerlandaises sont en pratique un double scrutin  : l’élection des parlementaires régionaux au suffrage universel direct est suivie de l’élection par ces parlementaires des membres de la Première Chambre des États généraux, la chambre haute du parlement néerlandais. C’est donc d’abord au nombre des sièges obtenus à la Première Chambre (qui en compte 75) que se mesure, dans le paysage politique très morcelé du Royaume des Pays-Bas, la réussite des différents partis aux élections provinciales.

Selon les dernières projections, le FvD, créé en 2016, et dont c’est la première élection provinciale, a remporté 13 sièges, soit un de plus que le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD, ADLE) du premier ministre Mark Rutte. La coalition de gouvernement, composée des libéraux du VVD et des D66 ainsi que des chrétiens-démocrates du CDA et de la CU, passe de 38 à 31 sièges, perdant sa courte majorité. Mais les deux grands perdants de cette élections sont le Parti socialiste (SP, GUE/NGL), qui divise son score de moitié, et le Parti de la liberté (PVV, ENL), dont le chef Geert Wilders s’est « incliné » mercredi soir face à Baudet, dont un tiers de l’électorat est issu des rangs de la vieille formation populiste 2.

Ayant perdu sa majorité à la chambre haute, nécessaire à une conduite ordonnée de l’action législative, la coalition va désormais devoir rechercher des alliés sur sa gauche 3. Alors que toute coopération avec l’extrême-droite apparaît exclue, l’exécutif de Mark Rutte pourrait tenter de nouer des accords avec l’un deux partis d’opposition, les sociaux-démocrates du Parti du Travail (PvdA) et les Verts, dont les voix lui permettraient d’atteindre la majorité à la chambre haute. La possibilité de choisir l’une des deux formations pourrait même renforcer sa position de négociation 4. À défaut d’accord formel, il devra rechercher des accords au cas par cas. Quoi qu’il en soit, le virage à droite d’une partie de l’électorat devrait confirmer le recentrement vers la gauche de l’action gouvernementale, seul à même de réunir une majorité suffisante dans les deux chambres.

Le succès du FvD pose également la question des coalitions dans les gouvernements provinciaux, pour lesquelles de très larges coalitions sont d’ores et déjà la norme. Le problème sera probablement particulièrement aigu dans les trois provinces (sur douze) où il arrive en tête, c’est-à-dire les deux provinces de Hollande et celle d’Utrecht. La situation des parlements régionaux néerlandais, où la montée des partis néo-nationalistes s’accompagne de la généralisation contrainte des coalitions centrales, est en cela comparable aux situations belge et surtout allemande, et apparaît comme une conséquence directe de la disparition ou de l’affaiblissement des anciens « partis de masse ».

Perspectives :

  • 25 mars 2019 : résultats définitifs des élections provinciales.
  • 23 mai 2019 : élections européennes au Pays-Bas (le mercredi, l’essentiel des autres États-membres votant le 26 mai).
  • 27 mai 2019 : élections à la Première Chambre des États généraux.

François Hublet

Sources
  1. Wat zei Baudet eigenlijk in zijn overwinningsspeech ?, NRC Handelsblad, 21 mars 2019.
  2. VAN STEENBERGEN Enzo, PVV gedwongen tot ‘diepe buiging’ voor Baudet, NRC Handelsblad, 21 mars 2019.
  3. VALK Guus, Monsterzege van Baudet dwingt Rutte naar links, NRC Handelsblad, 21 mars 2019.
  4. AHAROUAY Lamyae et RIJLAARSDAM Barbara, Bij de oppositie heeft niemand ‘de sleutel’ van de coalitie in handen, NRC Handelsblad, 21 mars 2019.