Menlo Park. Dès le titre du long texte publié le 6 mars, le ton semble donné : Facebook développe une “vision des réseaux sociaux centrée sur la vie privée” (3), un revirement apparemment important pour une compagnie à qui il est reproché, entre autres, de faire un usage abusif des données de ses utilisateurs.

Plusieurs évolutions à venir paraissent donner corps à cette annonce : le chiffrement des conversations, déjà en vigueur sur WhatsApp, deviendrait également la norme sur Messenger et Instagram. Bien qu’aucun chiffre précis ne soit avancé, la durée de stockage des métadonnées par Facebook serait aussi réduite et l’entreprise renoncerait à proposer ses services dans des pays non respectueux des droits de l’homme qui exigeraient que ses serveurs soient établis sur le sol national. Il est même question de réduire le volume de données personnelles collectées, sans qu’aucune autre précision ne soit apportée sur ce point.

À première vue, la prise en compte par Facebook de ces principes pourrait être lue comme une victoire de l’Union Européenne (UE), en pointe au plan mondial en matière de défense de la vie privée en ligne.

Cette interprétation, qui n’est pas dépourvue de fondement, doit cependant être modérée. Car cette invocation de la protection de la vie privée de ses utilisateurs comme un nouveau principe central de l’entreprise est avant tout d’ordre discursif : c’est une ressource, mobilisée pour justifier des changements plus profonds, réalisés avec d’autres intentions.

En effet, une autre évolution est annoncée, de façon plus discrète : sous couvert “d’interopérabilité”, les différentes plateformes de Facebook pourront désormais communiquer entre elles : par exemple, un message WhatsApp pourra atterrir sur le Messenger de Facebook ou le “Direct” d’Instagram de son destinataire. Selon une logique éprouvée plus d’une fois dans de multiples domaines, il s’agit de mettre fin à une structure de silos, pour faciliter et multiplier les échanges.

Même si chaque utilisateur conservera le choix de faire ou non communiquer entre eux ces différents services, l’architecture technique existante devra forcément évoluer dans sa globalité et conduire à une unification matérielle de systèmes qui sont aujourd’hui encore indépendants. En surface, le changement paraîtra minime mais, en profondeur, il sera considérable, rejoignant “l’intégration” annoncée dès fin janvier dans un article du New York Times, qui la décrivait comme hautement controversée en interne (2).

Il peut être flatteur pour l’UE d’observer qu’elle a contribué à réorienter le discours public de Facebook. Mais il est indispensable de regarder au-delà et de réaliser que si l’entreprise reprend à son compte le principe de protection de vie privée, c’est pour justifier une évolution qui conduira à une accentuation de la mainmise de Facebook sur les réseaux sociaux et donc à sa position outrageusement dominante dans ce domaine. Ce qui permet de souligner au passage l’ingénuité de la Commission Européenne qui avait validé en 2014 l’achat de WhatsApp par Facebook dans le cadre de la politique de concurrence, en se laissant tromper sur les opportunités techniques liées à cette acquisition (1).

S’il en était besoin, cette récente annonce de la part de Zuckerberg rappelle à quel point la politique européenne de concurrence était inadaptée aux conditions du monde numérique. De plus, il est à craindre que, s’ils se concrétisent, ces changements à venir ne révèlent également la capacité de Facebook à retourner à son avantage une critique si fréquemment formulée à son encontre.

Pour éviter ce scénario, l’UE devrait à son tour s’emparer d’un terme invoqué par Facebook : au nom de la politique de concurrence, l’interopérabilité annoncée entre services de communication internes à Facebook ne devrait-elle pas, par exemple, être exigée également avec toute autre plateforme concurrente ?

Perspectives :

  • Cette initiative a un fort potentiel déstabilisateur en interne chez Facebook : de nouveaux départs pourraient s’ajouter à ceux qui ont eu lieu lors des derniers mois en raison de désaccord vis-à-vis de cette stratégie.
  • La mise en oeuvre effective de l’unification des architectures est prévue pour fin 2019 ou début 2020.
  • Si cette unification des architectures techniques se matérialisait, la perspective d’un démantèlement de l’entreprise, que certains comme Elizabeth Warren appellent de leur voeux, deviendrait encore plus compliquée à mettre en oeuvre. Ne serait-ce pas en réalité un des principaux objectifs poursuivis ?

Sources :

  1. Commission Européenne, Concentrations : la Commission inflige des amendes de 110 millions EUR à Facebook pour avoir fourni des renseignements dénaturés concernant l’acquisition de WhatsApp, Communiqués de presse du 18 mai 2017.
  2. ISAAC Mike, Zuckerberg Plans to Integrate WhatsApp, Instagram and Facebook Messenger, The New York Times, 25 janvier 2019.
  3. ZUCKERBERG Mark, A Privacy-Focused Vision for Social Networking, Facebook, 6 mars 2019.

Barthélémy Michalon