Berlin. L’Allemagne a inscrit dans une loi de 1951 pour l’indemnisation des victimes de guerre (Bundesversorgungsgesetz – BVG) la possibilité de verser une pension à ceux qui ont subi des dommages lors de leur service en tant que soldat (5). L’article 64 du BVG énonce que la loi est aussi applicable à ceux qui ont leur domicile à l’étranger. Toutefois, l’article §1a a été réécrit en 1998 pour exclure du champ d’application du BVG les personnes ayant volontairement rejoint la SS. Cela a fait suite à des révélations en 1993, selon lesquelles des légionnaires lettons des Waffen-SS percevaient une pension, alors qu’une partie d’entre eux avait participé à des assassinats visant des Juifs (2). Néanmoins, tous les collaborateurs n’ont pas appartenu à la SS et ne sont donc pas exclus du champ d’application du BVG. En pratique, la possibilité de suspendre le versement d’une pension pour les personnes visées par l’article §1a n’a été utilisée que 99 fois.

Le problème des versements à d’anciens collaborateurs n’est pas nouveau, mais n’a jamais reçu de réponse adéquate de la part du législateur allemand. Récemment, la Chambre des représentants de Belgique a adopté une proposition de résolution visant à abroger le régime de pensions octroyées à d’anciens collaborateurs militaires belges (1). Les médias se sont alors intéressés à la question, ce qui a permis d’apprendre que d’autres pays étaient concernés par les versements faits à d’anciens collaborateurs nazis.

Malgré l’indignation exprimée par des figures politiques en Europe, l’Allemagne refuse de transmettre la liste des bénéficiaires aux pays concernés. Les prestations versées aux anciens collaborateurs et l’inaction de l’Allemagne sont révélatrices d’un travail mémoriel insuffisant. En matière sociale, des différences de traitement existent encore entre les anciens collaborateurs nazis et les victimes de l’Holocauste (4). Si l’Allemagne communiquait la liste des bénéficiaires vivant à l’étranger, cela permettrait de savoir qui a été enrôlé de force ou a volontairement collaboré.

Face à l’inaction de l’Allemagne, il est nécessaire de trouver des leviers. Si l’opinion allemande faisait pression sur le législateur, on pourrait espérer un changement du BVG à moyen terme, comme cela a pu se produire en 1998. Seulement, l’affaire des versements à d’anciens collaborateurs établis à l’étranger n’a pas eu beaucoup d’écho en Allemagne.

Les États européens concernés devraient comme la Belgique sommer le gouvernement allemand de demander aux administrations compétentes de cesser le versement d’une pension pour ceux qui ont volontairement collaboré. Cela n’empêcherait toutefois pas un recours en justice de la part des bénéficiaires. La Commission européenne pourrait engager une procédure d’infraction en vertu de l’article 258 TFUE : dans ce cas, il y aurait d’abord une phase précontentieuse, où l’Allemagne sera invitée par la Commission à démontrer qu’elle s’est conformée au droit de l’UE. Cela serait envisageable parce que l’Allemagne a probablement manqué à l’obligation d’informer automatiquement les administrations fiscales des pays concernés des pensions versées (3). Les citoyens des pays concernés pourraient aussi faire usage de leur droit de pétition résultant de l’article 24 TFUE pour informer la Commission européenne d’éventuels manquements de la part de l’Allemagne, ou déposer une plainte auprès de la Commission afin qu’elle engage une procédure d’infraction. Ces solutions ne seront pas efficaces dans l’immédiat, mais au moins l’attention des médias continuera d’être mobilisée : le risque serait que l’affaire soit assez vite oubliée.

S’il est nécessaire pour les États concernés d’agir, il ne faut pas oublier que certains d’entre eux ont mené des guerres dans d’anciennes colonies. Si le droit de ces États permet le versement d’une pension à des personnes qui ont commis des actes de torture et plus largement des crimes de guerre, il y a urgence à le modifier. Car question de fond est bien la capacité d’un Etat à regarder son passé – colonial ou nazi – et à en tirer toutes les conséquences.

Perspectives :

  • La mobilisation de l’opinion allemande serait le moyen le plus efficace de mettre fin au versement de pensions à d’anciens collaborateurs nazis. L’engagement d’une procédure d’infraction par la Commission européenne pourrait éventuellement être envisagé.
  • L’affaire doit aussi inviter les Etats qui ont un passé colonial à réfléchir à leur propre système d’indemnisation, qui permet potentiellement de verser une pension à des personnes ayant commis des crimes de guerre.

Sources :

  1. Chambre des représentants belge, Proposition de résolution visant à clarifier et à abroger le régime des pensions octroyées aux anciens collaborateurs militaires belges, 20 février 2019.
  2. Die 4 panorama-Berichte : Opferrenten für Kriegsverbrecher und Nazis, DokZentrum, 14 octobre 2015.
  3. Article 8 de la directive 2011/16/EU sur la coopération administrative dans le domaine de la fiscalité, Eur-LEX, 15 février 2011.
  4. Maximal vier Jahre rückwirkende Ghetto-Rente nach Überprüfungsbescheid, Legal Tribute Online, 08 février 2012.
  5. Près de 2 000 ex-collaborateurs du régime nazi reçoivent toujours des pensions de l’Allemagne, Le Monde, 26 février 2019.

Ingrid Kis