Soči. Le 14 février, Soči a accueilli le quatrième sommet du groupe d’Astana (composé par la Russie, la Turquie et l’Iran), le premier depuis que Trump a annoncé le retrait des troupes américaines de Syrie. Le même jour s’est conclue, plus à l’ouest, la Conférence de Varsovie pour la paix au Moyen-Orient, parrainée par les États-Unis.

Deux événements parallèles qui ont immédiatement symbolisé l’incompatibilité de leurs parrains respectifs : non seulement parce que la Russie a rejeté l’invitation à se rendre à Varsovie (4), mais surtout en raison des visions inconciliables menées par les deux groupes (2). En effet, alors que le groupe d’Astana vise la fin de la guerre civile syrienne pour la stabilisation du Moyen-Orient, les États-Unis et les autres invités à Varsovie soutiennent officiellement l’importance du règlement du conflit israélo-palestinien. Mais surtout, le sommet de Varsovie a tenté d’unir Israël, les pays arabes et l’Europe dans une alliance anti-iranienne. Un mission qui, cependant, a largement échoué.

Outre les États-Unis, le Sommet de Varsovie a vu la participation d’une soixantaine de pays de tous les continents, un « cirque désespéré » selon le ministre iranien des Affaires étrangères Zarif (3). Un front aussi varié ne pouvait guère donner de résultats significatifs. En raison des divergences de vue entre Washington et l’Union européenne (Ue), cette dernière s’est montrée peu disposée à compromettre ses relations avec Téhéran. En outre, l’inclusion récente par l’Ue de l’Arabie saoudite dans la liste des pays finançant le terrorisme n’a certainement pas contribué à résoudre les différends, tandis que les tensions entre la Pologne et Israël sur la Shoah ont complété le tableau des hostilités réciproques. Au-delà de ces limites, le Sommet de Varsovie a certainement constitué le plus grand effort diplomatique de ces dernières années pour contenir l’expansion de l’Iran au Moyen-Orient.

L’atmosphère de Soči, où les obstacles à la coopération ont été masqués par une diplomatie toujours attentive à donner une lumière positive au groupe d’Astana, était d’une autre nature. Si, en effet, de nombreuses incertitudes demeurent sur l’avenir syrien (du sort d’Idlib à celui des Kurdes du Ypg, en passant par les questions de financement de la reconstruction) et si les objectifs des pouvoirs protagonistes sont différents, voire contradictoires, l’unité et l’efficacité du format ont été relativement bien préservées. On peut en déduire qu’à l’heure actuelle, la capacité de Moscou à rassembler les acteurs pour sa propre cause est bien supérieure à celle de Washington, au Moyen-Orient. En termes concrets, les perspectives de coopération offertes par Poutine semblent plus réalistes et pragmatiques que celles de la Maison-Blanche. Mais la Russie doit aussi faire face aux limites de ses propres moyens, notamment financiers, et à la modération des acteurs locaux.

Un gouffre très profond s’étend donc entre le Moyen-Orient de Soči et celui de Varsovie. Il est difficile de prédire laquelle des deux visions prévaudra dans un avenir proche, notamment parce que les puissances locales elles-mêmes semblent symétriquement divisées : l’Iran et peut-être la Turquie d’une part, Israël et l’Arabie saoudite d’autre part. Dans un environnement aussi incertain, même l’Europe pourrait faire sa part en équilibrant les tendances opposées.

Mais pour l’instant, fidèle à sa loyauté atlantiste, elle se limite à être en désaccord avec la ligne anti-Téhéran de Trump, n’ayant ni les moyens de s’en dissocier complètement, ni la volonté de le faire. D’autre part, ce n’est qu’avec difficulté que l’Ue a reconnu le processus d’Astana comme un élément essentiel de la stabilisation pacifique de la Syrie. Et la participation de la France et de l’Allemagne aux colloques sur la reconstruction de la Syrie (1) n’a pas encore donné de résultats significatifs. Entre Soči et Varsovie, l’Europe est encore au milieu du gué.

Perspectives :

  • 9 avril 2019 : élections législatives en Israël.

Sources :

  1. Turkey, Russia seek European input on Syria settlement, Al Monitor, 31 octobre 2018.
  2. Sochi and Warsaw : Two summits with competing agendas, Daily Sabah, 15 février 2019.
  3. Iran’s Zarif calls Iran-focused summit in Poland a ‘desperate circus’, Reuters, 11 janvier 2019.
  4. Russia says no ‘value added’ in Mideast meeting, The Washington Post, 14 février 2019.

Pietro Figuera