Cucuta. Pendant qu’à la ville-frontière de Cucuta, en Colombie, se tenait le concert pour l’aide humanitaire visant à récolter des fonds pour le Venezuela, les États-Unis et la Chine se réunissaient à Washington pour régler le conflit commercial qui les oppose depuis des mois. Cependant, les deux événements ne sont pas si étrangers l’un à l’autre : la crise qui sévit actuellement au Venezuela a amené la Chine et les États-Unis à se positionner, une fois de plus, de part et d’autre. Alors que les États-Unis de Trump forment une coalition avec l’opposition vénézuélienne représentée par Juan Guaidó et quelques pays latino-américains pour faire tomber Nicolás Maduro, la Chine, au contraire, soutient ce dernier en proposant des prêts en milliards de dollars. De plus, la Chine s’oppose à l’entrée de l’aide humanitaire américaine, considérée comme une stratégie interventionniste, craignant le déclenchement d’un nouveau conflit dans le pays.

L’hostilité croissante des États-Unis à l’égard de la Chine, qui continue de se développer économiquement et à répandre son influence dans le monde, s’accroît en raison de la présence chinoise de plus en plus importante en Amérique latine et aux Caraïbes, région historiquement considérée comme la chasse gardée des États-Unis. Toutefois, bien que la Chine ait commencé à s’intéresser au continent latino-américain depuis quelques années, sa présence dans la région est devenue plus visible depuis l’arrivée au pouvoir de Trump aux États-Unis. Pour les principaux think tanks américains, cela tient au fait que la Chine commence à occuper des espaces vides laissés par les États-Unis.

En effet, la Chine a planifié son approche vis-à-vis des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes par le biais de ses partenariats stratégiques. Au cours des cinq dernières années, le géant asiatique a scellé d’importants accords avec l’Argentine (2015), le Brésil (2017), le Chili (2016), l’Équateur (2016), le Mexique (2016), le Pérou (2013), l’Uruguay (2016) et le Venezuela (2014), et depuis 2017, il est le principal partenaire commercial de plusieurs pays en Amérique du Sud. Ces partenariats couvrent les politiques commerciales, les investissements dans l’énergie, les infrastructures, la technologie et la coopération dans le domaine culturel. Au cours de la dernière décennie, les investissements chinois en Amérique latine et aux Caraïbes ont augmenté de 25 milliards de dollars et le président Xi Jinping envisage d’ajouter 250 milliards supplémentaires dans les années à venir. La Chine a notamment manifesté son intérêt pour les accords sur la construction de chemins de fer bi-océaniques avec le Brésil, le Pérou et la Bolivie. La Banque Asiatique d’Investissement en Infrastructures et la Banque Interaméricaine de Développement explorent déjà des options de cofinancement des infrastructures.

Contrairement au discours de Donald Trump, Pékin s’est efforcé de souligner l’importance stratégique de la région latino-américaine pour son développement et son intention de travailler ensemble sur le long terme par l’établissement de relations bilatérales ou en coopération avec les principaux groupes économiques de la région. Les perspectives mondiales de croissance chinoise impliqueront dans le futur un important apport de ressources stratégiques et, surtout, de ressources alimentaires à moyen terme. L’Amérique latine est riche en ressources stratégiques et est historiquement productrice de matières primaires. La nécessité de s’assurer un accès à ces ressources naturelles pour garantir sa croissance exponentielle a poussé la Chine à mettre en œuvre une stratégie mondiale volontariste et ambitieuse.

En janvier 2018, lors d’un sommet de la Communauté d’États Latino-Américains et des Caraïbes (CELAC), la Chine, principal créancier de l’Amérique latine, a invité les pays de la région à rejoindre son initiative « Belt and Road Initiative ». En effet, pour Pékin, l’Amérique latine et les Caraïbes se trouvent dans le prolongement de sa « route de la soie » maritime, ce qui permettrait aux pays acceptant de signer les accords de bénéficier des investissements en infrastructure à grande échelle dans leurs territoires. Toutefois, malgré l’avancée diplomatique de la Chine, notamment avec la rupture des relations diplomatiques avec Taiwan de la part du Salvador, du Costa Rica, du Panamá et de la République Dominicaine, il reste encore quelques pays de la région qui entretiennent des relations diplomatiques avec Taipei (Guatemala, Honduras, Nicaragua).

En guise que stratégie de défense américaine, Mike Pence, Rex Tillerson et Jim Mattis ont visité chacun à leur tour l’Amérique latine entre 2017 et 2018 dans le but de « promouvoir un hémisphère sûr, prospère, doté d’une énergie et d’une sécurité démocratique » et d’élargir la coopération avec ces pays en tenant compte de l’influence croissante de la Chine sur le plan économique et technologique.

Cependant, l’aspect économique ne détermine pas complètement l’influence politique. En général, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes rejettent les modèles présentés par le Venezuela, Cuba et ses alliés, tels que la Chine. Bien que celle-ci présente un contrepoids aux États-Unis, le soutien à la construction nationale, au gouvernement démocratique et à la primauté du droit sont les piliers qui maintiennent les États-Unis dans une position toujours hégémonique. Au-delà des liens économiques, la présence chinoise en Amérique latine ne paraît pas chercher, du moins pour le moment, à créer une contre-hégémonie régionale contre les États-Unis.

Perspectives :

  • Si un accord n’est pas obtenu, le conflit sino-américain continuera à s’intensifier au cours des prochaines années. Dans cette vue d’ensemble, l’Amérique latine revêt une importance croissante mais encore marginale. Néanmoins, si les tensions bilatérales continuaient à s’aggraver au cours des prochaines décennies, la région pourrait devenir un théâtre de conflits mondiaux entre les deux puissances.
  • Les prêts et les financements consentis par la Chine pourraient créer une dette potentiellement insoutenable pour certains pays. Dans le contexte de l’Amérique latine, aucun cas n’offre autant de leçons de prudence sur les relations de « développement » fondées sur la dette que le Venezuela.
  • Il serait donc nécessaire que la Chine et l’Amérique latine trouvent une voie durable pour les accords d’investissement, commerciaux, de financement et d’infrastructure. Cela conduit à dépasser le discours chinois sur la coopération « win-win ».

Sources :

  1. BRIEGER Pedro, Las razones de Estados Unidos para no querer a China en Latinoamérica, CNN Español, 23 août 2018.
  2. BULARD Martine, Chine – États Unis, où s’arrêtera l’escalade ?, Le Monde Diplomatique, octobre 2018.
  3. China considera que la entrada de ayuda a Venezuela puede tener “graves consecuencias”, EMOL, 22 février 2019.
  4. GIL Tamara, Crisis en Venezuela : qué intereses tiene China en el país latinoamericano (y por qué tiene tanto que perder), BBC News, 14 février 2019.
  5. LEÓN-MANRÍQUEZ José, Mao’s steps in Monroe’s backyard : towards a United States-China hegemonic struggle in Latin America, Revista Brasileira Política Internacional, 2014.
  6. VASWANI Karishma, Panamá, el país de América Latina atrapado en la “guerra fría” entre China y Estados Unidos, BBC News, 24 octobre 2018.

Francisca Corona Ravest