Londres. Le Brexit approche à grand pas et Theresa May s’est rendue à Bruxelles, la semaine dernière, pour demander une révision du backstop. Pas question de renégocier l’accord de divorce, mais plutôt d’apporter des modifications à la déclaration politique qui l’accompagne. Une rencontre qualifiée de “constructive” par la Première Ministre britannique, mais qui a laissé Michel Barnier, négociateur en chef du Brexit, plus préoccupé que jamais face à l’hypothèse d’un Brexit accidentel (1). Un reproche de la part de Bruxelles : afin d’obtenir un consensus sur l’accord signé en novembre, May aurait pu adopter une ligne plus dure vis-à-vis de l’aile hard-Brexit qui tient en otage le parti conservateur.

Entretemps, la question européenne pourrait provoquer une recomposition politique majeure : onze députés ont abandonné leur parti et l’exode pourrait continuer. Huit députés travaillistes l’ont quitté en accusant l’équipe dirigente d’antisémitisme et d’une mauvaise approche du Brexit, reprochant au Parti Travailliste de vouloir négocier une union douanière avec l’Union Européenne (UE) et un alignement garantissant l’accès aux marchés, mais sans revenir sur la question de fond. En effet, Jeremy Corbyn, qui était à Bruxelles la semaine dernière au même moment que Theresa May pour rencontrer Michel Barnier, mécontente une partie des travaillistes par son refus de demander un nouveau référendum. Côté conservateur, trois députées ont démissionné, Anna Soubry, Sarah Wollaston et Heidi Allen, insatisfaites de la ligne du parti sur l’Europe et en particulier du positionnement de Theresa May qui est personnellement contre la liberté de mouvement des personnes et pour la liberté commerciale, comme les Brexiters les plus durs.

Chuka Umunna, surnommé le Barack Obama britannique (4), né à Londres en 1978 d’un père nigérian et d’une mère anglo-irlandaise, député de la circonscription de Streatham, membre du cabinet fantôme depuis 2011, a déclaré espérer la création d’une nouvelle force politique indépendante, fruit de cette sécession, d’ici la fin de l’année, à la tête de laquelle il serait le candidat favori (3). Pro-immigration, en faveur d’un renforcement de l’État-providence, le groupe se pose comme pluraliste et cherche à ramener le pouvoir du centre de l’échiquier politique (2). Il siège à la Chambre des Représentants et fait des appels de phare aux députés centristes de chaque parti. Les membres de ce groupe ont travaillé sur le dossier européen pendant plus de deux ans mais n’ont commencé que très récemment à discuter de l’idée d’une vraie force transpartisane. « La confusion du Brexit était encore là mais le brouillard qui entourait la situation des partis se dissipait et il y avait comme le sentiment que les deux partis principaux étaient contrôlés par leurs extrêmes », a expliqué Umunna (5).

Selon The Economist, la profonde division qui traverse le pays sur la question du Leave vs Remain, tant chez les électeurs que dans la classe politique, aurait désormais dépassé le clivage traditionnel entre la gauche et la droite (6). Certes, le système électoral britannique, basé sur la règle du first-past-the-post – premier arrivé, premier servi – protège les partis majoritaires et consolide le bipartisme. Il n’a jamais été simple pour une troisième force politique de s’affranchir de ces règles du jeu pour sortir du clivage gauche-droite. Mais le Brexit a exaspéré ces clivages, et soumis les deux partis traditionnels de gouvernement, le Labour et les Tories, à une extrémisation ouvrant un espace politique au centre de l’échiquier, comme l’illustrait parfaitement cette semaine la Une de l’hebdomadaire conservateur, The Spectator. Absorbé par la gestion des conséquences du vote référendaire, Westminster a été épargnée jusqu’ici par le déclenchement d’un processus de recomposition politique qui a touché la France (en 2017) et l’Italie (en 2018). Alors que le Brexit touche à son point critique, un espace centriste, à la En Marche, s’est ouvert au Parlement britannique, en opposition au radicalisme ambiant. Faut-il y voir un cri d’alarme sans avenir ou un viatique pour la démocratie libérale ? Les votes qui auront lieu mercredi 27 février à Westminster pèseront autant sur les modalités du Brexit que sur les équilibres de moyen terme du paysage politique britannique.

Perspectives :

  • Un vote au Parlement britannique sur l’accord de retrait est prévu le 27 février.
  • Un sommet européen est prévu le 21 et 22 mars qui sera pour Theresa May l’occasion de concessions de dernière minute.

Sources :

  1. BOFFEY Daniel, O’CARROL Lisa, RANKIN Jennifer, Michel Barnier says there is high chance of ‘accidental’ no-deal Brexit, 22 février 2019.
  2. COLLINS Philip, Here’s how the Independent Group can become a party, The Times, 21 février.
  3. ELGOT Jessica, Chuka Umunna hopes new party will be created by end of year, The Guardian, 19 février 2019.
  4. PAYNE Sebastian, Chuka Umunna : driving force behind the Independent Group, Financial Times, 21 février 2019.
  5. STEVENS Ben, Chuka Umunna : We’ve talked to a lot of MPs. One third of Labour is deeply unhappy, The Times, 22 février 2019.
  6. The fragmentation of the big parties, The Economist, 21 février 2019.

Vera Marchand