Oslo. Jeudi 14 février, la Cour suprême de Norvège a rendu un jugement sans appel : « le crabe des neiges est une espèce sédentaire d’après la Convention sur le droit de la mer et […] la Norvège a le droit exclusif de l’exploiter, cf. Article 77 de la Convention sur le droit de la mer » (1). Par cette conclusion, la cour norvégienne met fin au moins temporairement à un épisode à un long débat sur la nature du crabe des neiges aux répercussions importantes sur les ressources naturelles autour de Svalbard.

Le conflit sur le crabe des neiges débute en janvier 2017, lorsque un des chalutiers de la société lettone SIA North Star Ltd mena des activités de pêche dans la zone de protection de la pêche située autour de Svalbard. Le chalutier « Senator » a alors été arrêté par les garde-côtes norvégiennes (Kystvakten) alors qu’il mettait en mer 2 600 pièges à crabes dans cette zone maritime. Le capitaine a alors refusé de récupérer ces pièges à la demande des garde-côtes s’abritant derrière des autorisations de l’Union Européenne (UE) dont il disposait (4). De là, le propriétaire letton Peteris Pildegovics plaide qu’il n’y avait pas besoin d’une licence norvégienne pour mener ces activités de pêches.

En juin 2017, dans un premier jugement, un tribunal de première instance en Norvège a désavoué la société lettone. Cette dernière a ensuite fait appel du verdict devant la Cour suprême. Mais avec une nouvelle décision défavorable à SIA North Star Ltd, la société doit également s’acquitter d’une amende de 1,3 million de couronnes norvégiennes (environ 132 000 euros). La Cour suprême a accordé une priorité à juger cette affaire et les 11 juges de la cour ont été unanime dans leur verdict. Cet empressement de la Cour suprême s’explique par la dimension complexe du dossier.

La définition de la nature des crabes des neiges, comme une espèce sédentaire ou un stock de poisson qui se déplace dans la colonne d’eau, n’est pas anodine. En effet, les implications sont beaucoup plus larges que cette dispute comme le souligne Øystein Jensen, expert du droit de la mer (Institut Fridtjof Nansen) : « La question du crabe des neiges est un indicateur indirect du pétrole. Parce que ce qui est valable pour le crabe des neiges l’est aussi pour l’industrie pétrolière » (2).

L’affaire a suscité une attention majeure en Norvège car elle pourrait potentiellement remettre en cause les droits de ce pays dans les eaux de Svalbard. Le caractère sédentaire du crabe signifie qu’il est considéré comme faisant partie du fond de la mer, et pourrait affecter à l’avenir également les droits sur les ressources de gaz et de pétrole dans la région. La décision de la Cour suprême vient renforcer la position norvégienne concernant l’interprétation du traité de Svalbard, signé en 1920, définissant la gestion des ressources naturelles sur la zone.

Le gouvernement norvégien souligne qu’il détient des droits exclusifs sur le plateau continental de Svalbard. Mais cette position est contestée par la plupart des autres pays signataires, dont de nombreux États membres de l’UE. Du côté de la Cour suprême, celle-ci souligne qu’elle n’a pas examiné de questions plus larges concernant la compréhension du traité de Svalbard. Pour la juridiction interne du pays, ce verdict clôt l’affaire de manière définitive. Mais du côté de la société lettone, le ton est tout autre. Pour Peteris Pildegovics, cette décision est « politique » et constitue « un scandale ». Selon lui, la Norvège « commet un suicide international » et avertit avoir « à la fois un plan B et un plan C » (3). Un prochain rebondissement dans cette guerre du crabe n’est pas à exclure, dans les prochains mois, avec la saisine du tribunal de La Haye (Pays-Bas).

Perspectives :

  • Cette décision gèle temporairement la question de la pêche des crabes des neiges dans la région du Svalbard.
  • Peteris Pildegovics a déclaré procéder à la traduction du texte du jugement en anglais et envisager de nouvelles poursuites judiciaires. La société SIA North Star Ltd pourrait rapidement se tourner vers une juridiction internationale, en particulier le tribunal de La Haye.
  • Ce jugement réaffirme la souveraineté norvégienne sur l’archipel de Svalbard et renforce la possibilité d’une dispute juridique majeure avec l’Union européenne.

Sources :

  1. Cour suprême de Norvège, Fangst av snøkrabbe på norsk kontinentalsokkel, décision du 14 février 2019.
  2. FOUCHE Gwladys, Norway Supreme Court hears snow crab case with implication for oil, Reuters, 15 janvier 2019.
  3. HAGE Øystein, JOHANSEN Eskild, Varsler ny rettssak : – Høyesteretts snøkrabbe-svar er en skandale, Fiskeribladet, 14 février 2019.
  4. STAALESEN Atle, Norway has full supremacy over Svalbard snow crabs, Supreme Court rules, The Independent Barents Observer, 14 février 2019.

Florian Vidal