Venise. L’heure de la décentralisation approche-t-elle en Italie ? La politique italienne vit en ce moment une période d’ébullition, où les facteurs du clivage et du débat politique entre les partis du gouvernement majoritaire – la Ligue et le Mouvement Cinq Étoiles – se succèdent presque sans relâche. Et pourtant, le plus grand danger est survenu le 14 février, lorsque le projet d’accord pour l’autonomie de trois régions, la Vénétie, la Lombardie et l’Émilie-Romagne, a été examiné au Conseil des ministres après presque un an de négociations. Ce point marque la première étape d’un processus qui a débuté le 22 octobre 2017, avec des référendums en Vénétie et en Lombardie, et qui atteint maintenant son premier tournant important (2).

Tout d’abord, brièvement, les faits : les accords avec les trois régions s’appuient sur autant d’accords préliminaires sur le transfert de la gestion de certaines compétences de l’État aux régions. Si les exigences de l’Emilie Romagne sont plus limitées, la Lombardie et la Vénétie demandent la décentralisation de « tout ce qui est possible », selon les termes du gouverneur vénitien Luca Zaia (4), soit 23 compétences actuellement gérées par l’État, de l’environnement à l’éducation, en passant par les relations internationales et le commerce. Tout cela dans le contexte des négociations avec l’État central pour introduire une autonomie différenciée et en s’appuyant sur les articles 116 et 117 de la Constitution. L’accord indique surtout comment ces nouvelles tâches seront financées : “les trois régions du Nord ont obtenu que le financement soit basé, non pas sur des transferts de l’État, mais sur des partenariats en matière fiscale, concernant l’impôt sur le revenu et la TVA” (1).

S’il ne s’agit, dans sa forme, que d’une redistribution administrative, c’est le sens politique de l’accord qui est fondamental : le processus de décentralisation met en lumière de vieux fantômes de la politique italienne et de l’affrontement entre le Nord et le Sud. En effet, l’accord a tiré la sonnette d’alarme parmi ceux qui y voient un premier pas vers une remise en cause de l’unité de l’État et une véritable “sécession des riches”, dans laquelle les trois régions du Nord – qui produisent à elles seules 40,5 % du produit intérieur brut et 54,5 % des exportations italiennes – demanderaient à se réserver davantage de ressources, au détriment de la solidarité avec le reste du pays (5). Sur cette base, un autre affrontement a eu lieu au Conseil des ministres : d’une part, la Ligue, historiquement proche de la cause de l’autonomie et représentée par la ministre des Affaires régionales, Erika Stefani, qui a personnellement défendu l’accord ; d’autre part, le Mouvement Cinq étoiles, dont la base électorale s’est opposée aux modalités de l’autonomie. Le Mouvement Cinq Étoiles a surtout été bouleversé par les modalités du financement, ainsi que par la procédure de vote au Parlement, qui exclut la possibilité d’amender l’accord. Un affrontement qui ne se déroule pas seulement d’un parti à l’autre, mais qui remet au premier plan les profondes divisions du pays : au sein du Parti démocratique (PD), les politiciens du Sud opposés à l’accord – comme Enrico Rossi, président de la Toscane, ou Vincenzo de Luca, de la Campanie – s’opposent à des hommes politiques du Nord qui y sont favorables, comme Sergio Chiamparino du Piémont et Stefano Bonaccini de l’Émilie Romagna.

Si dans cette situation la bataille autonomiste s’annonce longue et incertaine, l’impression est que la boîte de Pandore est ouverte : l’initiative lancée par les régions du Nord risque de submerger le gouvernement, à tel point que Matteo Salvini a annoncé vouloir organiser un sommet de la majorité avec Luigi Di Maio et le Premier ministre Giuseppe Conte pour régler le conflit (3). L’objectif est d’obtenir l’autonomie, cheval de bataille de la Ligue sur le territoire. Mais au-delà des effets que le débat aura sur le gouvernement, l’Italie est confrontée à un moment potentiellement historique, dont les conséquences restent encore à comprendre : une plus grande autonomie des régions du Nord pourrait se traduire par un mouvement centripète, avec une redistribution du pouvoir du centre vers la périphérie. Et poser ainsi de nombreuses questions sur l’avenir du pays, sur la stabilité de l’État, sur l’augmentation ou la diminution des inégalités socio-économiques déjà gigantesques, et sur l’efficacité de certains mouvements de décentralisation dans une Europe toujours plus nationaliste. Alors que le procès des militants de l’indépendance catalane se déroule en Espagne, il est donc important de suivre l’évolution de la « sécession douce » italienne.

Perspectives :

  • Selon Salvini, un sommet se déroulera la semaine prochaine pour décider de l’autonomie des trois régions. La date reste encore à déterminer.
  • Il est difficile de dire quand le processus d’autonomie sera achevé, mais il sera encore très long : après l’approbation du Conseil des ministres, le texte devra être soumis au Parlement, puis aux commissions des États-Régions pour définir son application concrète. Quoi qu’il en soit, il faut s’attendre à ce qu’il soit décisif pour la stabilité du gouvernement.

Sources :

  1. BORDIGNON Massimo, La posta in gioco con l’autonomia del Nord, La Voce, 15 février 2019.
  2. COLLOT Giovanni, Il Veneto lancia la carica delle regioni italiane per ottenere maggiore autonomia, La Lettre du Lundi, 17 juin 2018.
  3. CREMONESI Marco, GALLUZZO Marco, Autonomia, Salvini annuncia un vertice : « Va fatta », Corriere della Sera, 14 février 2019.
  4. Autonomia, Zaia : « Accolto il 70 % delle richieste, ora la fase politica », Il Gazzettino, 14 février 2019.
  5. SECHI Mario, Sul governo è arrivata la gelata del Nord, News List, 15 février 2019.

Giovanni Collot