Abuja. Le président Muhammadu Buhari, du All Progressives Congress (APC) et candidat à sa propre réélection, a gagné les élections en 2015 avec 53,9 % des voix. Ses bases de soutien se situaient principalement dans le nord et le sud-ouest. Son bilan reste mitigé : Boko Haram n’est pas encore vaincu, la lutte contre la corruption progresse mais vise principalement les fonctionnaires du gouvernement précédent et l’économie est tombée en récession puis en est sortie sous son mandat. Buhari, très souvent absent à cause des arrêts maladie, est perçu comme vieux, lent et déconnecté de la population.
Mais est-ce qu’un homme d’affaires et ancien vice-président pourrait offrir une meilleure alternative au président sortant ? Atiku Abubakar, candidat du People’s Democratic Party (PDP) souhaite privatiser la compagnie nationale pétrolière, favoriser le développement du secteur privé, doubler le PIB à $900m avant 2025 et éliminer les subventions pour le pétrole (2). Connu pour sa fortune, il peine à se détacher d’une réputation de corruption.
Certains cherchent à offrir une alternative aux deux « dinosaures » de la politique nigériane. On compte, parmi eux, Omoyele Sowore, Donald Duke, Kingsley Moghalu et Fela Durotoye. Oby Ezekwesili, fondatrice de la campagne « bring back our girls » s’est retirée de la course afin de tenter de construire une coalition. Mais la victoire de ces candidats semble très peu probable : un résultat de 2 % pour l’un d’entre eux serait une grande réussite.
Il y a très peu de débat sur les programmes des candidats, leur victoire se reposera sur leurs capacités de mobiliser des voix dans leurs bastions et de convaincre les électeurs des États clés dans le sud-ouest et la partie centrale du pays, appelée « Middle Belt ».
On peut identifier deux facteurs clés qui détermineront le résultat, samedi 23 février. Le premier est les divisions sociales et régionales, reflétées par les stratégies de campagne des candidats. Buhari a pu mobiliser les masses dans le nord du pays, alors qu’Atiku voit son soutien principal parmi les élites et les classes moyennes et aisés, surtout dans le sud-est et sud du pays. Cela veut dire que l’élection va se jouer dans la Middle Belt et le sud-ouest. La Middle Belt a vu un conflit entre les pasteurs et éleveurs causer plus de 3,600 morts depuis 2016 (1), le président n’arrive pas à y mette fin. Au contraire, les inquiétudes des électeurs du sud-ouest sont principalement économiques : ils n’ont pas vu la croissance économique espérée en 2015. Ils se plaignent également du favoritisme dont Buhari ferait preuve envers le nord du pays, accusant le président de nommer en priorité des candidats du nord aux postes gouvernementaux.
Il est difficile à dire si Buhari a réussi à apaiser ces inquiétudes et ces critiques lors de sa campagne. Cependant, le deuxième facteur clé, l’implication de Bola Tinubu, dirigeant national de l’APC et homme politique le plus influent du sud-ouest, pourrait cacher les fragilités de la campagne de Buhari. Cependant, son rôle a souvent été remis en question : il a été accusé de soutenir subtilement Atiku, son ami proche, et de préférer se concentrer sur les élections des gouverneurs en mars afin de renforcer son influence dans le sud-ouest.
La mobilisation de la population par chacun des candidats et par leurs alliés sera impérative pour la victoire, et c’est ici que Buhari semble avoir l’avantage. Il est encore trop tôt pour dire si le report aura un impact sur la participation. Si les nigérians, désenchantés ou ayant déjà fait leurs déplacements pour voter le 16 février ne se mobilisent pas la semaine prochaine, une victoire de Buhari semble plus probable. Par contre, si les citoyens, outragés par ce qu’ils considèrent comme un affront à la démocratie, se mobilisent le 23 février la candidature d’Atiku sera renforcée. Il est intéressant de noter que les deux partis ont critiqué la commission électorale et ont affirmé que le report favorisera l’autre. Il est encore trop tôt pour dire qui profitera du report, mais la capacité de définir le discours autour du report pourrait être la différence entre le gagnant et le perdant.
Perspectives :
- En plus de l’importance des enjeux, les possibilités de manipulation électorale et de rejet du résultat par le candidat perdant, le report pourra entraîner des violences électorales.
- Le 9 mars 2019, les Nigérians éliront leurs gouverneurs, très influents, qui pourront renforcer ou contrebalancer le président.
- Une victoire d’un candidat d’un troisième parti aux présidentielles est très peu probable, mais une victoire aux élections des gouverneurs est possible. Un bon résultat renforcerait leur projet de construire une alternative aux puissances politiques traditionnelles. Une victoire de Buhari verrait une continuité et une intensification de la lutte contre la corruption ; toute absence médicale permettra à son vice-président de mener certaines réformes. Une victoire d’Atiku mènerait à une politique plus libérale cherchant à stimuler l’économie et à encourager les investissements privés. Une partie de la population pourrait accepter une potentielle augmentation de la corruption si elle est accompagnée d’une croissance économique.
Sources :
- AKWAGYIRAM Alexis et MCNEILL Ryan, Nomads and Farmers in Fight for Nigeria’s Heartland, Reuters, 19 décembre 2018.
- WALLACE Paul et DULUE Mbachu, Thatcher-Loving Nigeria Candidate Plans to Overhaul Economy, Bloomberg, 17 janvier 2019.
Mikolaj Judson