Bruxelles. Depuis le 1er janvier 2019, les allocations familiales versées par l’Autriche sont indexées sur le coût de la vie à l’étranger, lorsque les travailleurs établis en Autriche ont des enfants résidant dans un autre pays de l’Union Européenne (UE). Si dans l’autre État membre le coût de la vie est plus élevé, cela se traduit par une hausse du montant des allocations, ce qui est peu probable : seuls 400 enfants seraient concernés. Si dans l’autre État membre le coût de la vie est moins élevé, cela se traduit par une baisse, ce qui est bien plus probable : environ 125 000 enfants seraient concernés, dont 38 700 en Hongrie, 27 180 en Slovaquie, 14 865 en Pologne, et 14 213 en Roumanie (5). La baisse du montant des allocations est particulièrement importante pour les parents dont les enfants résident en Bulgarie, en Roumanie et en Pologne. Ainsi, le montant des allocations familiales est de 114 euros pour un enfant de moins de 2 ans résidant en Autriche, tandis qu’il n’est plus que de 51,30 euros si l’enfant de moins de 2 ans réside en Bulgarie (4).
La décision du gouvernement fédéral autrichien a suscité de vives critiques de la part des États concernés par la baisse des allocations, notamment la Hongrie (2). L’UE s’est également élevée contre l’indexation des allocations familiales sur le coût réel de la vie à l’étranger, affirmant qu’elle est contraire au droit communautaire et que la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà rendu une décision sur un cas similaire.
Cependant, la Commission européenne s’est abstenue d’engager une procédure d’infraction contre l’Autriche, tant qu’a duré la présidence autrichienne du Conseil européen, présidence qui s’est terminée le 31 décembre 2018. Conformément à l’article 258 TFUE, la Commission européenne peut engager une procédure d’infraction contre un État membre si elle estime qu’il a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu des traités. La procédure se compose de trois étapes : la Commission européenne émet un avis au sujet du manquement par l’État membre à ses obligations, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations ; si l’État en cause ne se conforme pas à l’avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission européenne a donc dans un premier temps demandé à l’Autriche de prendre position sur les éventuelles violations recensées. Ainsi, l’institution explique que les travailleurs étrangers reçoivent des prestations plus faibles alors qu’ils paient leurs cotisations sociales et impôts comme les Autrichiens, et ce du simple fait que leurs enfants résident à l’étranger (1). Elle affirme que les règles de l’UE relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale n’autorisent pas les États membres à réduire le montant des prestations pour les personnes assurées en vertu de leur droit du simple fait qu’elles ou leurs proches résident dans un autre pays membre (Règlement (CE) n°883/2004). En outre, la réduction des prestations sociales du simple fait que les enfants concernés résident à l’étranger violerait les règles de l’UE relatives à la sécurité sociale ainsi que le principe de l’égalité de traitement entre les travailleurs nationaux et ceux ayant la nationalité d’un autre État membre (Règlement(UE) n°492/2011).
Il est très probable que l’UE demandera à l’Autriche de revenir sur sa mesure, sous peine que la CJUE soit saisie. Le principe de l’égalité de traitement des travailleurs ayant la nationalité d’un autre État membre a une grande importance dans le droit européen. De plus, il faut rappeler que la proposition faite par certains États membres de modifier le droit européen pour indexer les allocations familiales sur le coût de la vie à l’étranger a été rejetée par le Parlement européen (3). En cas de saisine, la Commission européenne pourrait demander à la CJUE de prononcer des sanctions à l’encontre de l’Autriche. Pour autant, la procédure d’infraction n’entraînera pas nécessairement des sanctions financières : cela implique que la CJUE soit saisie, qu’elle rende un arrêt, que l’Autriche refuse de s’y conformer, qu’elle soit renvoyée une première fois devant la CJUE suite à ce refus, puis une deuxième fois. Dans la plupart des cas, la procédure d’infraction se termine sans saisine de la CJUE. Cela montre que l’engagement d’une procédure d’infraction peut suffire à infléchir la politique de l’État membre.
Pour l’heure, il est difficile de dire si l’engagement d’une procédure aura cet effet en Autriche. Il est certain en tout cas que l’indexation des allocations familiales ne fait pas consensus et que l’engagement d’une procédure d’infraction envoie un signal fort. Dans d’autres pays de l’UE, comme l’Allemagne, des partis envisagent la mise en place d’une indexation des allocations familiales selon le même principe que l’Autriche et la procédure en cours pourrait les en dissuader.
Perspectives :
- La Commission européenne demandera certainement à l’Autriche de revenir sur sa mesure.
- Même si elle ne conduira pas nécessairement à des sanctions financières pour l’Autriche, la procédure engagée par la Commission européenne pourrait dissuader les autres États membres d’indexer les allocations familiales sur le coût de la vie à l’étranger.
Sources :
- Commission européenne, Indexierung von Familienleistungen : Kommission eröffnet Vertragsverletzungsverfahren gegen Österreich, communiqué de presse du 24/01/2019.
- Ungarn kritisiert Kürzung der Familienbeihilfe als « unanständig », Die Presse, 02/05/2018.
- HENDRICH Cornelia Karin Hendrich, Angepasstes Kindergeld für Ausländer im EU-Parlament abgelehnt, Die Welt, 21/11/2018.
- Rumänien erwägt Klage gegen Österreich, Kleine Zeitung, 07/01/2019.
- Halb so viel Familienbeihilfe für Bulgaren, Wiener Zeitung, 14/12/2018.
Ingrid Kis