Moscou. Tout le monde n’est pas convaincu à Moscou qu’il faille aller jusqu’au bout pour soutenir le président vénézuélien Nicolás Maduro (4). Dans les couloirs du Kremlin, la résilience du régime bolivarien et les conséquences possibles d’un nouveau gouvernement hostile à la Russie suscitent de nombreuses inquiétudes. Parmi celles-ci, la dette contractée par Caracas (9 milliards de dollars), déjà difficile à rembourser dans la situation financière actuelle (1).

Le sentiment d’avoir parié sur le mauvais cheval n’est pas nouveau : il est au moins aussi vieux que la crise vénézuélienne. Les visites très fréquentes de Chávez et Maduro à Moscou (douze en douze ans) témoignent du constant besoin d’aide de la part de Caracas, ainsi que de l’asymétrie des relations. Mais le soutien au chavisme, en réalité, était un choix presque obligatoire de la part du Kremlin.

Alors que la politique identitaire de la Russie envers l’Europe repose sur le conservatisme social et politique, la redécouverte des valeurs orthodoxes et des liens avec (presque tous) les partis de droite, l’histoire de l’Amérique du Sud semble avoir gelé depuis la guerre froide. Les pays les plus proches de Moscou sont en fait ceux qui ont maintenu un système socialiste ou ont des partis d’inspiration marxiste au pouvoir, comme la Bolivie, le Nicaragua et Cuba, en plus du Venezuela.

Poutine n’est ni schizophrène, ni nostalgique de l’Urss : il regrette simplement sa sphère d’influence, et non son idéologie. Les liens avec les pays survivants de l’alliance bolivarienne d’Amérique du Sud ne sont pas – évidemment – à attribuer à des sympathies politiques ou programmatiques, bien que certains oligarques russes soient fascinés par la rhétorique révolutionnaire de la gauche qui a sa plus forte tradition en Amérique latine (2).

Pour le Kremlin, il s’agit plutôt de mettre en œuvre un programme anti-Washington dans cette partie du monde. La Russie tente de rééquilibrer les sphères d’influence, en essayant de recréer ce sentiment d’encerclement dont elle se sent si souvent victime, en Europe et en Asie. Les résultats, bien sûr, ne sont pas comparables : la coopération avec Caracas ne préoccupe pas trop la Maison Blanche, d’autant plus que tout le monde sait qu’une véritable intervention militaire russe (excluant ainsi l’utilisation de milices privées) (3) est extrêmement peu probable. Trop de distance, trop peu d’alliés régionaux. Et la Russie n’est même pas l’acteur le plus intéressé par la situation Caracas : les États-Unis, la Chine et le Brésil ont bien plus d’intérêts dans la région (5). Nous ne sommes donc pas confrontés à un engagement comparable à celui de la Syrie, ni aux signes précurseurs d’une nouvelle crise des missiles.

Certes, pour Poutine, il est important de s’en tenir aux choix de principe : Moscou continue de parrainer avec un succès relatif son orientation basée sur la non-ingérence et le contraste avec les révolutions colorées. Mais surtout, aux yeux du président russe, le plus grand danger serait représenté par la perte d’un partenaire symboliquement très important, le seul véritable allié dans un continent considéré par Washington comme son propre jardin.

Enfin, la crise vénézuélienne met en lumière le Brésil, qui s’est immédiatement engagé sur le terrain pour soutenir le président par interim autoproclamé Guaidò. En effet, avec la récente victoire électorale de Bolsonaro, le géant vert et or semble avoir changé de cap dans sa stratégie internationale : les relations avec les États-Unis de Trump seront privilégiées, au détriment de la coopération avec la Russie et les autres pays du groupe Brics. L’organisation, dont le prochain sommet sera accueilli par le Brésil, a commencé à perdre de sa profondeur et de son influence politique depuis quelque temps déjà. Les divisions sur la crise vénézuélienne pourraient accélérer son déclin et mettre en évidence les difficultés russes dans les Amériques.

Perspectives :

  • D’ici 2019 : nouvelles élections présidentielles possibles au Venezuela en cas d’affirmation de Guaidò.
  • Automne 2019 : onzième sommet du groupe Brics, accueilli par le Brésil.
  • Printemps 2025 : élections présidentielles au Venezuela si Maduro conserve le pouvoir.

Sources :

  1. Putin extends lifeline to cash-strapped Venezuela, CNN Business, 15 septembre 2018.
  2. La crisi venezuelana vista da Vladimir Putin, Lettera 43, 29 janvier 2019.
  3. Kremlin-linked contractors help guard Venezuela’s Maduro, Reuters, 25 janvier 2019.
  4. Russia Following ‘Syrian Playbook’ in Its Approach to Venezuela, The Jamestown Foundation, 31 janvier 2019.
  5. The Putin Touch in Venezuela, The Wilson Center (Kennan Institute), 25 janvier 2019.

Pietro Figuera