Brasilia. Jair Bolsonaro a été élu dans un contexte politique inédit : la multiplication des mouvements anti-corruption qui ont émergé dans la société brésilienne depuis juin 2013 a entraîné la perte de légitimité des deux principaux partis brésiliens depuis la re-démocratisation en 1985, le Parti des travailleurs (PT) et le Parti social-démocrate du Brésil (PSDB). Selon les données de Latinobarómetro, les Brésiliens ont un des plus faibles taux de soutien (34 %) à la démocratie en Amérique du Sud – un indice qui a considérablement diminué ces dernières années1.

Nostalgique de la dictature qui a gouverné le pays pendant 21 ans (1964-1985), Bolsonaro s’est fait passer pour un étranger de la politique traditionnelle pendant la campagne électorale, promettant de mettre un terme à la corruption. Ce n’est pas par hasard si le président a nommé un nombre record de militaires à des postes ministériels : sept soldats ont été nommés ministres dans la nouvelle administration.

S’il est vrai que Bolsonaro incarne la victoire du mouvement conservateur, il est aussi vrai que le système politique brésilien dispose d’une série de mécanismes institutionnels qui empêchent le président de gouverner seul. Le soi-disant présidentialisme de coalition implique en effet que le président doive construire des alliances avec les autres partis. En outre, il est important de noter qu’une série de freins et contrepoids au sein du pouvoir exécutif ont été renforcés au cours des dernières décennies, notamment au sein du pouvoir judiciaire et du ministère public. Ces institutions favorisent l’extension du principe de responsabilité aux mandats présidentiels. D’autre part, l’existence d’un fédéralisme dans lequel les gouverneurs des États jouissent d’un pouvoir décisionnel important sur le budget, ainsi que d’une influence sur la politique nationale, favorise la décentralisation du système politique brésilien2.

La persistance de cette configuration institutionnelle engendre la nécessité d’une médiation entre le « mythe bolsonarien », promu sur les réseaux sociaux comme un individu ordinaire, modeste et proche de la population, et le « président bolsonarien », qui est forcé de négocier avec les élites politiques et, par conséquent, moins capable d’appliquer la rupture radicale promise dans sa campagne.

Sans compter qu’il existe des conflits inhérents à la composition de l’administration3. Le ministre de l’Économie, Paulo Guedes, plaide en faveur d’une plus grande ouverture commerciale et de la mise en œuvre de vastes réformes néolibérales – y compris un modèle de protection sociale fondé sur les comptes personnels, inspiré du modèle chilien. D’autre part, le ministre des Affaires étrangères Ernesto Araujo est un critique convaincu du « mondialisme » et prône le rapprochement avec les pays aux valeurs chrétiennes. Une position que le chercheur Dawisson Evécio Belém Lopes (UFMG) a qualifiée de nationalisme religieux4.

Au-delà des conflits, la nouvelle orientation de la politique étrangère brésilienne se caractérise par le rapprochement avec les États-Unis et leurs alliés comme Israël, rompant avec la position historique d’impartialité du Brésil au Moyen-Orient. Se distançant du principe de coopération Sud-Sud qui caractérisait le gouvernement Lula (2003-2010), le ministre Ernesto Araújo promet de promouvoir une intégration sélective avec les pays d’Amérique latine, notamment ceux gouvernés par la droite, comme le Chili (Sebastián Piñera) et la Colombie (Iván Duque). Sur un ton qui inquiète le gouvernement chinois, Bolsonaro a critiqué la présence d’investissements chinois dans les terres brésiliennes pendant la campagne, mais il n’a pas précisé les implications de cette nouvelle orientation.

En termes d’interaction avec les organisations internationales, le gouvernement de Bolsonaro a rompu avec l’Accord de Paris et a déclaré qu’il n’accueillera pas la Conférence des Nations Unies sur le climat en 20195.

Perspectives :

  • L’absence de définition de la politique intérieure au Brésil, ainsi qu’une position nationaliste plus unilatérale sur la scène internationale, pourrait contribuer à la perte du leadership brésilien en Amérique latine, au profit du Mexique, dans un contexte d’aggravation de la crise au Venezuela.
  • Le rôle du Brésil pourrait être moins important sur la scène internationale, et ce malgré l’influence du personnel militaire de haut rang qui a participé aux missions de maintien de la paix des Nations Unies.
  • Le rapprochement du Brésil avec des pays de droite comme la Colombie et le Chili, ainsi que la rupture du Brésil avec des pays de gauche comme Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, promettent d’inaugurer une nouvelle période pour les relations multilatérales en Amérique latine, avec la consolidation possible de différents blocs commerciaux guidés par des coalitions idéologiques.
Sources
  1. Corporación Latinobarómetro,  Informe 2018, p. 16.
  2. LIMONGI Fernando, FIGUEIREDO Argelina, Bases Institucionais do Presidencialismo de Coalizão, Lua Nova, 44, 81-106, 1998.
  3. CAMPOS MELLO Patricia, COELHO Luciana, Jair Bolsonaro Promete Virada na Política Externa, Folha de Sao Paulo, 31 décembre 2019.
  4. MENDONCA Heloisa, “Do PSDB para o PT mudaram um pouco a receita do bolo, agora há uma ruptura drástica da política externa”, El Pais, 23 janvier 2019.
  5. CAMPOS MELLO Patricia, COELHO Luciana, Jair Bolsonaro Promete Virada na Política Externa, Folha de Sao Paulo, 31 décembre 2019.